Le bilan en Gambie, 21 ans après : il n’y a aucune raison de se réjouir

Photo : Marché de Banjul (Gambie), 23 déc. 2010. © Diego Hernandez

La Gambie célèbre le 22 juillet 2015 le 21e anniversaire de l’accession au pouvoir du président Yahya Jammeh. Depuis qu’il dirige le pays, des militants, des journalistes et des opposants politiques vivent dans la peur. Alioune Tine nous fait part de ce qu’évoque, pour lui, cet anniversaire.

En tant que défenseur des droits humains et de par mes origines ouest-africaines, je n’ai aucune raison de me réjouir en ce jour, 22 juillet 2015. J’ai honte que, dans un pays voisin du mien, des atteintes aux droits humains soient perpétrées chaque jour et que des gens se voient privés de leurs droits les plus fondamentaux.

Alioune Tine est l’un des chefs de file du mouvement de défense des droits humains en Afrique de l’Ouest depuis 1990.
Alioune Tine est l’un des chefs de file du mouvement de défense des droits humains en Afrique de l’Ouest depuis 1990.

Je n’ai aucune raison de me réjouir. Depuis que Yahya Jammeh a accédé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État militaire en 1994, on a pu constater une dégradation alarmante de la situation des droits humains dans le pays, et la torture est monnaie courante. Les forces de sécurité se livrent à des enlèvements, des disparitions et des arrestations illégales presque tous les jours. Dans ce climat de peur, on harcèle, on menace et on incarcère des militants et des journalistes pour les empêcher de s’exprimer librement. Le recours à la peine de mort par les autorités a été l’un des moments les plus sombres de cette période, alors que d’autres pays de la région progressaient vers l’abolition. Neuf condamnés à mort ont été exécutés en 2012 ; au moins deux d’entre eux n’ont jamais eu la possibilité de faire appel de leur sentence.

Je n’ai aucune raison de me réjouir aujourd’hui, car mon combat contre le mépris affiché par Yahya Jammeh à l’égard des droits humains est un combat que je continue de livrer à chaque instant.

Alioune Tine, directeur régional, Bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique centrale et de l’Ouest

J’ai malheureusement été touché personnellement par ce comportement de Yahya Jammeh. Deyda Hydara, rédacteur en chef du journal The Point et président du Syndicat de la presse de Gambie, tué le 16 décembre 2004, était un ami à moi. Peu de gens le savent, mais nous étions au collège ensemble en 1966 et 1967. C’était un vrai journaliste, convaincu du pouvoir des mots et de la liberté dont nous jouissons pour les utiliser. Pourtant, aucun mot n’était assez puissant pour exprimer ma consternation quand j’ai appris sa mort.

Des sources très fiables m’ont également informé que, quand j’étais président de l’organisation de défense des droits humains RADDHO, les services de sécurité gambiens me surveillaient, au pied même de mon bureau, à Dakar. Pendant près d’un an, un individu a stationné son véhicule devant mon bureau. Je ne l’ai remarqué qu’au bout d’un certain temps. Un jour, alors que j’intervenais lors d’une conférence de presse, je l’ai aperçu. Je l’ai interpellé publiquement et j’ai demandé aux journalistes présents de le filmer. Je ne l’ai plus jamais revu.

Manifestation de militants d’Amnesty International devant le siège de la représentation nigériane à Londres (Royaume-Uni), 22 juillet 2011. Ils demandent à ce que soit mis fin au règne de la peur en Gambie.
Manifestation de militants d’Amnesty International devant le siège de la représentation nigériane à Londres (Royaume-Uni), 22 juillet 2011. Ils demandent à ce que soit mis fin au règne de la peur en Gambie.

Dakar n’est pas que la capitale sénégalaise, c’est aussi le premier point d’entrée de celles et ceux qui fuient le régime abusif de Yahya Jammeh. En tant que militant des droits humains installé au Sénégal, j’ai rencontré de nombreux anciens prisonniers politiques qui cherchaient refuge dans mon pays : le colonel Ndure Cham, le capitaine Gomez et même l’ancien vice-président Sana Sabaly. Leurs témoignages viennent corroborer la crainte qui règne sur la Gambie, le total mépris envers les droits humains ainsi qu’une culture de l’impunité profondément ancrée dans le pays.

La communauté internationale ne se soucie guère de ces 21 années de violations des droits humains en Gambie.

Alioune Tine

Je n’ai aucune raison de me réjouir aujourd’hui, car mon combat contre le mépris affiché par Yahya Jammeh à l’égard des droits humains est un combat que je continue de livrer à chaque instant. Je me suis battu pour que neuf prisonniers ne soient pas exécutés en 2012. J’ai diffusé une déclaration où j’appelais l’Union africaine à intervenir. Le président Jammeh a menti éhontément, soutenant que ces neuf personnes n’avaient jamais été mises à mort. Pourtant, nous avons pu révéler au grand jour la liste complète de ces neuf personnes qui avaient perdu la vie. L’Union africaine a condamné leurs exécutions sans attendre.

La communauté internationale ne se soucie guère de ces 21 années de violations des droits humains en Gambie. Les nombreux touristes et visiteurs qui continuent de venir passer leurs vacances sur les plages du pays n’y accordent pas plus d’importance. La CEDEAO, l’organisme nous représentant à l’échelon régional, reste elle aussi sans réaction, alors que la Gambie – le plus petit pays de la région – n’applique pas les décisions rendues par son tribunal, telles que celle engageant le pays à enquêter sur l’homicide de mon ami Deyda Hydara. Enfin, les nombreux Sénégalais vivant de l’autre côté de la frontière, qui parlent la même langue et partagent la même culture, restent indifférents. Nos rêves d’indépendance sont foulés au pied par Yahya Jammeh. Pourtant, nous fermons les yeux.

Non, je n’ai décidément aucune raison de me réjouir aujourd’hui. Il en va de même pour les Gambiens, ceux qui sont restés chez eux comme ceux qui ont été contraints de fuir et d’abandonner leur famille et leur pays. Et pour tous les habitants d’Afrique de l’Ouest ou pour ceux qui, comme moi, croient fermement en les droits humains.

Pourtant, j’aime réellement me réjouir. J’attends avec impatience de pouvoir me réjouir d’une autre Gambie, où les droits humains sont pleinement respectés et où ses habitants ne vivent pas dans la crainte. Je suis prêt. Quand ce jour viendra, vous pourrez compter sur moi. Je serai prêt car, ce jour-là, moi et tous ceux et celles qui croient en les droits humains auront de bonnes raisons de nous réjouir.

Affichez votre solidarité à l’égard des Gambiens en envoyant les tweets suivants :

21 années de Jammeh : 21 années sans libertés en #Gambie #NothingToCelebrate

#Gambie – 22 juillet. Aucune raison de se réjouir pour les droits humains #NothingToCelebrate

Le bilan de 21 années de règne de Jammeh : torture, disparition forcée, peine de mort, pas de liberté d’expression #NothingToCelebrate

La communauté internationale doit réagir face à la détérioration de la situation des droits en #Gambie sous Jammeh #NothingToCelebrate

La CEDEAO doit réagir face à la détérioration de la situation des droits en #Gambie. 22 juillet #NothingToCelebrate