Des crimes de guerre ont été commis dans le cadre des combats pour le contrôle de Mossoul

Par Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise, depuis Mossoul (Irak)

De longues files de voitures pleines de familles terrifiées embouteillaient la route quand j’ai quitté Mossoul mercredi 25 juin. Cet exode massif témoigne de l’impact sur les civils du basculement de la ville, tombée aux mains de combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Tandis que nous nous dirigions vers Arbil, plus à l’est, des activistes de l’EIIL bombardaient sans discernement Hamdanyah, qui abrite des minorités religieuses et ethniques.

L’offensive de l’EIIL visant l’est de la deuxième ville d’Irak montre une nouvelle fois que tous les camps commettent des crimes de guerre dans le cadre des combats faisant rage pour le contrôle du territoire et des ressources en Irak. Qu’ils soient spécifiquement visés ou pris au milieu d’échanges de tirs souvent irresponsables, les civils paient le prix fort tandis que l’EIIL, d’autres groupes armés sunnites affrontent les forces armées irakiennes et les milices chiites.

À la tombée de la nuit, dans la ville voisine de Kalak, à l’est de Mossoul, j’ai rencontré plusieurs familles chrétiennes qui venaient à peine d’arriver de Qaraqosh. Un homme, père de quatre jeunes enfants, m’a dit :

« Nous avons entendu de fortes détonations, des gens ont dit qu’il s’agissait de tirs de mortier, je ne sais pas à quelle distance de chez nous. Nous sommes montés dans la voiture – ma femme, les enfants, mes parents et la tante de mon épouse – et sommes partis sans rien prendre. Je ne sais pas où nous passerons la nuit, mais au moins nous serons en sécurité. Demain nous verrons si c’est sans risque de rentrer chez nous ; que pouvons-nous faire d’autre ? »

Mais comme les affrontements entre membres de l’EIIL et les forces armées (Pechmerga) ont continué à faire rage, les résidents d’Hamdanya ont fui en masse. Jeudi 26 juin, j’ai trouvé la zone complètement désertée, à part deux familles qui s’apprêtaient à partir, un vieil homme qui m’a dit qu’il mourrait chez lui, deux médecins et deux prêtres. Les villes et villages alentours étaient submergés par le nombre de famille déplacées.

Bombardements de zones civiles

À Mossoul, j’ai rendu visite aux proches de cinq jeunes gens qui ont été tués le 7 juin lorsqu’un obus d’artillerie s’est abattu sur le toit terrasse où ils buvaient du thé et discutaient. En désignant le grand trou désormais réparé laissé par le projectile, qui a explosé sur le toit et a fini dans la pièce en-dessous, le père de Seif, l’un de ces jeunes, m’a dit :

« Nous avons comblé le trou, mais rien ne réparera mon cœur brisé. Mon fils m’a été arraché et mon autre garçon a été blessé si grièvement qu’il ne se remettra jamais. Je remercie dieu que mes autres enfants soient sains et saufs ; nous étions dans la pièce à côté de celle où l’obus a terminé sa course. Nous aurions tous pu être tués si nous nous étions trouvés dans cette dernière. »

Les jeunes frères et sœurs de Seif et d’autres voisins m’ont dit que la frappe qui a touché la maison était la première d’une série de sept ou huit qu’ils ont entendues. Les autres obus se sont écrasés à proximité, heureusement sans faire d’autres victimes.

Le frère aîné de Seif, seul rescapé du groupe qui était sur le toit terrasse lors de l’impact, est alité et souffre visiblement beaucoup. De gros éclats d’obus lui ont déchiqueté le torse, l’abdomen et l’aine, endommageant gravement certains organes internes.

Il s’exprimait avec difficulté, grimaçant et gémissant de douleur au moindre mouvement :

« Personne ne sortait à cause de la situation (des activistes de l’EIIL étaient entrés dans la ville en passant par la banlieue ouest les deux jours précédents, et l’armée et les forces de sécurité s’étaient retirées de l’autre côté de la rivière, dans l’est de la ville) alors nous étions assis chez nous, avec la famille et les voisins. Mes parents, les femmes et les enfants étaient en bas et nous, les hommes jeunes, mon frère, nos voisins et moi étions assis sur la terrasse. Nous n’avions entendu aucune frappe avant celle qui nous a touchés ; nous ne serions pas restés sur la terrasse autrement. Je me souviens seulement d’avoir vu un éclair et d’une douleur intense. »

Un fonctionnaire qui était avec les soldats irakiens lorsqu’ils se sont retirés de la ville m’a dit qu’à ce moment-là, l’armée pilonnait l’ouest de la ville depuis la caserne de la seconde brigade (al firqa al thaniya) dans la zone d’al Kind, dans l’est de la ville. L’artillerie n’est pas assez précise et ne devrait jamais être utilisée contre des zones résidentielles pleines de civils. Recourir de manière répétée à de telles armes, et de cette manière, sans prendre en considération le mal fait aux civils, est une atteinte au droit international humanitaire et un crime de guerre.

D’autres civils ont été tués lors de frappes similaires, plus récemment à Tal Afar, au nord-ouest de Mossoul, et aux alentours. Dimanche 22 juin, alors que je recueillais le témoignage de plusieurs membres d’une famille qui a fui Tal Afar et s’est réfugiée près d’Erbil, ils ont reçu l’appel de parents à Tal Afar leur annonçant que leur cousin Adnan, son épouse Zeinab et leurs deux enfants, un garçon et une fille âgés de six et huit ans, venaient d’être tués à leur domicile par un tir d’artillerie attribué aux forces irakiennes. Eux aussi avaient fui Tar Afar lorsque la ville est tombée aux mains de l’EIIL ce mois-ci, mais étaient rentrés chez eux deux jours plus tôt, pensant qu’ils étaient désormais en sécurité, mais aussi pour échapper aux dures conditions de l’endroit où ils s’étaient réfugiés.

Neuf autres civils ont été tués et plusieurs autres blessés lors d’une autre frappe de l’armée irakienne à Aayadiya, où ils s’étaient mis en sécurité après avoir fui leur domicile à Tal Afar ; des enfants, des femmes et des personnes âgées faisaient partie des victimes. Il existe de nombreux autres cas de ce type qui ne sont pas signalés parce que lorsque les civils fuient d’un endroit à l’autre, même les membres d’une même famille perdent le contact les uns avec les autres.

L’EIIL appelle à la « repentance »

À Mossoul, je suis passée à côté d’hommes attroupés devant des mosquées ; ces anciens policiers, membres de la défense civile et autres vont se « repentir » (Towba) publiquement pour leur association avec le gouvernement, qui ne contrôle désormais plus la ville. Ils le font en réaction à l’annonce de l’EIIL selon laquelle ceux qui se « repentent » ne seront pas attaqués.

Il n’y a cependant aucune garantie que l’EIIL tienne parole. Son bilan brutal fait plutôt craindre qu’il ne fasse le contraire – si ce n’est pas maintenant, alors plus tard. Ceux qui se « repentent » doivent remettre leurs cartes d’identité et leurs coordonnées, ce qui facilitera la tâche à l’EIIL s’il décide de s’en prendre à eux.

Mais, comme dans la plupart des conflits, les violations ne sont pas commises par un seul camp. L’EIIL a révélé certaines des atrocités qu’il a commises et s’en est même vanté, tandis que le gouvernement irakien, occupé à essayer d’obtenir le soutien de la communauté internationale, est désireux de dissimuler celles perpétrées par ses forces.

J’ai aussi parlé avec des familles et des témoins au sujet des prisonniers tués dans les centres de détention par les forces armées, avant leur départ de Mossoul et de Tal Afar.

Alors que les affrontements continuent à s’intensifier, les civils sont de plus en plus exposés au risque d’être victimes de violations, quel que soit le camp de leurs agresseurs.

Remarque : Ce billet a initialement été publié en anglais sur le site du Huffington Post le 27 juin 2014.