«J’appelle en Syrie pour m’assurer que ma famille est en vie»

Le 20 mars, des militants dans toute l’Europe protestent contre le traitement réservé aux frontières de l’Union européenne à ceux qui fuient la guerre et la pauvreté. L’une des manifestantes, Inaam, est une réfugiée syrienne qui vit en Grèce. Elle s’inquiète pour ses proches restés en Syrie, mais elle a également peur de ce qui risque de leur arriver s’ils parviennent jusqu’aux portes de la « Forteresse Europe ».

Par Giorgos Kosmopoulos, chargé de campagne sur la Grèce à Amnesty International

Elle parle grec à la perfection, clairement et avec assurance. Inaam, 32 ans, vit à Athènes depuis 2006. Sa mère et son frère sont avec elle, mais trois de ses sœurs et leurs familles se trouvent toujours en Syrie. Elle suit les informations avec attention.

« Dès que je vois une nouvelle image de la guerre, je me précipite pour leur téléphoner et me rassurer, pour savoir s’ils sont toujours en vie », m’explique Inaam. Leur ville natale, Al Rakka, dans le nord de la Syrie, a été ravagée par les violences.

« Quelques fois, il est impossible de les joindre, parce que les communications sont coupées, et ma mère pleure toute la journée. Elle dit souvent qu’elle veut rentrer au pays et je m’efforce de lui expliquer que c’est impossible. »

Inaam regarde avec horreur les images de ces « barils qui tombent du ciel ». « Je pose la main sur mon cœur et je m’inquiète, dit-elle. Les gens scrutent le ciel pour savoir où va tomber la bombe. » Une bombe a détruit la maison de sa tante et a blessé sa nièce.

Ses sœurs et leurs familles pensent à fuir, mais ce n’est pas facile, dit Inaam. « Elles veulent sauver leur vie et celle de leurs enfants et leur apporter une éducation. Mais j’ai peur de ce qui va leur arriver s’ils entreprennent le voyage pour l’Europe. C’est très difficile pour les réfugiés ici. »

Inaam est une militante très active. En janvier 2014, elle a protesté avec d’autres aux côtés d’Amnesty International contre le fait que des réfugiés et des migrants se noient dans la mer Égée. Les garde-côtes grecs auraient tenté, en toute illégalité, de renvoyer leur embarcation vers la Turquie. Lorsqu’elle a coulé près de l’île de Farmakonisi, 11 personnes – dont huit enfants – ont perdu la vie.

Ces militants s’efforcent aussi d’aider les nouveaux réfugiés qui arrivent de Syrie. « Nous essayons de faire ce que nous pouvons – leur acheter de la nourriture et leur trouver un endroit où dormir. Nous envoyons également des médicaments et de la nourriture dans les camps de réfugiés en Turquie », dit-elle.

Aujourd’hui, Inaam participe à l’action d’Amnesty International SOS Europe: People before borders, à Athènes. « Si cela permet d’informer une seule personne de plus de la situation, je serai satisfaite, explique-t-elle. Parce que cette personne décidera peut-être d’agir. »

Aujourd’hui, nous avons la possibilité de faire savoir aux dirigeants européens que nous nous insurgeons contre la manière dont sont traités les réfugiés et les migrants aux frontières de l’UE. Les partisans d’Amnesty International dans toute l’Europe feront pression sur les candidats nationaux à l’approche des élections du Parlement européen au mois de mai. En juin, les dirigeants se rencontreront pour adopter une stratégie relative à l’asile et à la migration pour les cinq prochaines années.

Nous voulons qu’ils adoptent des politiques permettant de sauver des vies et de traiter les réfugiés avec dignité. Il est scandaleux qu’ils soient enfermés pendant des mois ou qu’ils se se noient lorsqu’ils cherchent à se mettre à l’abri en Europe. Nous sommes capables de faire mieux.

Disposant d’une éducation, d’un emploi et de papiers prouvant qu’elle réside légalement en Grèce, Inaam fait partie des chanceux. En Syrie, elle enseignait l’art en école primaire, elle apprenait à ses élèves à peindre. Aujourd’hui, elle travaille dans l’un des plus grands hôpitaux d’Athènes comme interprète. Elle a obtenu sa licence à l’université en janvier, après avoir étudié la gestion des entreprises.

Avant de nous quitter, Inaam me confie qu’elle souhaite que la Syrie « soit à nouveau unie dans un même cœur, dans la liberté et la démocratie pour tous ». Parallèlement, elle exhorte la Grèce et l’Europe à donner la priorité aux personnes et à aider la Syrie et ses réfugiés. « Parce que si les Syriens ne sont pas des réfugiés, demande-t-elle, alors qui le sera ? »