Bangui, ville assiégée par la violence et la peur

par Susanna Flood, directrice du programme Médias d’Amnesty International

Vendredi 6 décembre 2013 — En surface, tout est silencieux à Bangui, la toute petite capitale de la République centrafricaine. Étrangement silencieux. Mais, au-delà de ce silence, on commence à entendre des récits sur ce qui se passe. La ville est calme mais les gens ont peur.

Il n’y a pratiquement aucune voiture dans les rues, un silence inquiétant rôde. Soudain, des coups de feu éclatent dans l’un des nombreux quartiers où les combats font rage depuis jeudi 5 décembre au matin, ou des avions de combat français surgissent par surprise dans le ciel, faisant savoir aux habitants de la ville qu’ils sont là.

Il n’y a pas de bilan exact du nombre de personnes qui ont été blessées ou tuées lors des attaques entre les civils armés connus sous le nom d’anti-balaka, qui se disent fidèles au président renversé François Bozizé, et les anciennes forces de la Séléka du nouveau président, Michel Djotodia. Mais d’après ceux qui savent, il y a eu au moins 200 morts en une seule journée, soit le bilan le plus grave depuis le début de la crise.

Dans tous les quartiers de la ville des morts et des blessés sont ramassés et amenés à la morgue centrale, ou à l’Hôpital communautaire. Ils viennent des secteurs chrétiens ou musulmans, certains blessés par balles ou éclats d’obus, d’autres visiblement tués à coups de machette ou de couteau.

C’est aux femmes qu’échoit la tâche de les ramasser. Elles seules peuvent s’aventurer dehors. Quand elles osent aller jusqu’aux hôpitaux ou aux morgues, elles les leur amènent dans des brouettes. Parfois, quand c’est trop dangereux, elles les enterrent au fond de leur jardin.

En raison de l’insécurité, ceux qui ont besoin de soins peuvent difficilement se rendre à l’hôpital. De même, les médecins qui pourraient apporter les premiers secours aux blessés ne peuvent pas sortir de chez eux. La ville est paralysée.

Le sentiment d’insécurité est omniprésent. Un défenseur des droits humains a parlé avec la délégation d’Amnesty International chez lui, où il aurait dû se sentir en sécurité. Mais même là, craignant d’être entendu, il a partagé en chuchotant les dernières nouvelles de sa communauté.

D’après certaines informations, d’anciens membres de la Séléka patrouillent dans certains quartiers, ouvrent le feu à l’aveuglette, brisent des portes, pillent et vont même jusqu’à tuer. Les habitants se réfugient dans les églises, pourtant mal équipées pour fournir la sécurité, et encore moins la nourriture et les conditions sanitaires dont ils auraient besoin. Il semblerait que l’aéroport de Bangui soit assailli de milliers de personnes qui cherchent protection auprès des forces françaises, qui protègent ce site stratégique.

Mais la menace à la sécurité ne vient pas seulement des anciens groupes armés musulmans de la Séléka. Lorsque les combats ont éclaté à Bangui, plus de 50 corps ont été amenés dans une mosquée de PK5, l’un des quartiers musulmans de la ville.

Cette violence est le reflet des événements qui ravagent le pays de long en large depuis plusieurs mois. La crise silencieuse a fini par atteindre Bangui, au moment où le Conseil de sécurité de l’ONU, poussé par la France, prend enfin conscience de la catastrophe qui attend le peuple assiégé de la République centrafricaine.

Alors que le monde pleure la mort de Nelson Mandela, dans cette autre région d’Afrique des gens souffrent, des gens qui ont besoin qu’on vienne d’urgence à leur secours. Ce n’est pas le moment de les oublier. Madiba nous rappelle par-dessus tout que notre devoir est de lutter pour protéger ceux qui souffrent.

Pour en savoir plus :

République centrafricaine. Les effusions de sang prennent de l’ampleur et des meurtres motivés par la vengeance sont signalés (communiqué de presse, 5 décembre 2013)République centrafricaine. L’ONU doit tout faire pour que la force de maintien de la paix réussisse (communiqué de presse, 5 décembre 2013)
Le recours à une force de maintien de la paix est la seule façon d’éviter la catastrophe en République centrafricaine (billet d’opinion, 3 décembre 2013)
De nouvelles images satellite révèlent les ravages causés par les violences en République centrafricaine (communiqué de presse, 8 novembre 2013)
République centrafricaine. Les violences commises par les forces de sécurité sont désormais impossibles à maîtriser (nouvelle/rapport, 29 octobre 2013)