Khan al Ahmar : l’impact de l’expansion des colonies israéliennes sur les droits humains

L’école primaire de Khan al Ahmar, menacée de démolition par l’armée israélienne. ©Amnesty International

Cela fait plus de 60 ans que la tribu bédouine des Jahalins se bat pour conserver son mode de vie. Les Jahalins ont été forcés à quitter leurs terres ancestrales dans le désert du Néguev dans les années 50. Les gouvernements israéliens successifs, semblant vouloir les faire disparaître, leur font subir depuis lors harcèlement, pressions et réinstallations. Et les décisions récemment prises par Israël en rapport avec l’expansion des colonies illégales en Cisjordanie occupée se solderont par de nouvelles difficultés pour ces populations.

Lundi 12 août, des projets relatifs à la construction de 900 nouveaux appartements à Gilo, une colonie des territoires occupés de Jérusalem-Est, ont été approuvés.

Dimanche 11 août, le ministère israélien du Logement a lancé un appel d’offres pour la construction de 1 200 nouveaux logements en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est. Ces annonces concernent les colonies israéliennes de Maale Adumim et Pisgat Zeev, qui entourent la zone où plusieurs communautés jahalins vivent depuis des décennies. Plusieurs autres projets de construction dans les colonies ont également avancé dernièrement.

Tout cela me rappelle ma dernière visite en date à la communauté jahalin de Khan al Ahmar, il y a deux mois.

Il nous avait été impossible d’utiliser un véhicule pour nous rendre dans ce village. Alors que nous nous en approchions sur l’autoroute principale, construite pour relier les colonies israéliennes illégales de Jérusalem-Est à celles du reste de la Cisjordanie, nous pouvions clairement voir ce village sur le flanc d’une colline au bord de la route. Mais aucune voie n’y menait.

Le village de Khan al Ahmar abrite une des 20 communautés bédouines jahalins menacées depuis des années par l’expansion des colonies israéliennes dans la zone située à l’est de Jérusalem, aussi nommée « E1 ». Environ 2 300 réfugiés déplacés par Israël y vivent depuis les années 50.

Les autorités israéliennes ont bloqué la vieille route menant au village, et n’ont pas fourni de nouvel accès sûr. C’est comme si Khan al Ahmar avait disparu de la carte. Les autorités israéliennes continuent à essayer d’expulser de force les habitants du village.

Pour nous rendre sur place, nous avons dû, d’autres délégués d’Amnesty International et moi-même, laisser notre bus au bord de cette autoroute très passante, descendre sur la route en terre située sous celle-ci, puis gravir la colline à pied jusqu’à Khan al Ahmar. Alors que voitures et camions filaient à toute allure derrière nous, nous nous sommes rendu compte que des écoliers empruntaient ce chemin tous les jours.

Traditionnellement, les Jahalins tiraient leurs revenus de l’économie pastorale, qui dépend de l’accès à des pâturages. Depuis des décennies, leur capacité à maintenir ce mode de vie se voit réduite par la construction de colonies réservées aux seuls juifs, la présence de bases militaires et la création de réserves naturelles, qui empiètent sur les terres qu’ils utilisent.

L’expansion incessante des colonies illégales se poursuit. Les annonces de lundi 12 et de dimanche 11 viennent s’ajouter à des propositions israéliennes controversées faites l’an dernier au sujet de l’expansion des colonies dans la zone E1. À l’époque, ces projets avaient été largement condamnés par des gouvernements du monde entier.

Ils sont bien plus qu’un nouvel « obstacle » à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. La construction ininterrompue de colonies par Israël a des effets directs sur les droits des Palestiniens vivant sous occupation militaire dans des localités telles que Khan al Ahmar. Elle alourdit la longue liste des violations des droits humains dont ils sont victimes au quotidien, notamment la privation du droit à un logement convenable et du droit à l’eau.

De nombreux logements ont été détruits par l’armée israélienne dans ces villages jahalins, et la plupart des autres, ainsi que deux écoles primaires, sont visés par des ordres de démolition. Ces populations sont par ailleurs régulièrement victimes d’agressions de la part de colons israéliens, qui s’en prennent aux résidents, y compris les enfants, ainsi qu’à leurs logements et à leurs réserves en eau. Ceux qui commettent ces actes bénéficient d’une impunité quasi-totale.

Pendant notre visite à Khan al Ahmar, les résidents nous ont fait part de leurs difficultés à continuer à mener certaines activités quotidiennes, comme rassembler leurs moutons et éduquer leurs enfants, face à l’armée israélienne et à l’expansion des colonies. Ils ont souligné que le projet d’Israël de transférer les populations jahalins représente la plus grande menace à leur existence à ce jour.

Depuis près de deux ans, les résidents luttent contre les tentatives d’Israël de les expulser de force de chez eux. Au début, l’armée israélienne a proposé de les reloger sur un terrain tout proche d’une décharge municipale, sans les avoir consultés. C’est seulement sous l’effet de pressions exercées par des organisations non gouvernementales locales et par la communauté internationale que les autorités israéliennes ont accepté d’envisager d’autres sites. Aucune véritable consultation n’a cependant encore eu lieu.

La politique d’Israël consistant à implanter ses civils dans les territoires palestiniens occupés et à expulser de force des Palestiniens vivant sous occupation viole la Quatrième Convention de Genève et est considérée comme un crime de guerre aux termes du statut de la Cour pénale internationale.

Les États-Unis, qui parrainent la reprise des négociations israélo-palestiniennes, ainsi que l’Union européenne et tous les pays concernés, doivent veiller à ce qu’Israël respecte le droit international.

Israël doit immédiatement abandonner les projets impliquant d’expulser de force des Jahalins hors de leurs terres, et annuler tous les ordres de démolition visant leurs domiciles. Il doit par ailleurs suspendre sans délai la construction et l’expansion des colonies israéliennes et des infrastructures connexes en Cisjordanie occupée, notamment à Jérusalem-Est, à titre de première étape vers un retrait des civils israéliens qui vivent dans ces colonies.

Alors que notre bus s’éloignait, nous pouvions voir Khan al Ahmar et les autres hameaux bédouins éparpillés au cœur d’un des plus vastes projets de l’histoire des colonies israéliennes. Ces bergers réfugiés se retrouvent isolés face à cette crise des droits humains. Il ne faut pas les abandonner.