Soudan du Sud

Amnesty International ne prend pas position sur les questions de souveraineté ou les conflits territoriaux. Les frontières apparaissant sur cette carte sont basées sur les données géospatiales des Nations unies.
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Soudan Du Sud 2023

Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que le droit de circuler librement, ont été réprimés. Des journalistes, des militant·e·s, des personnes critiques à l’égard des autorités et des membres de l’opposition ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, ainsi que d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Une personne ayant critiqué le gouvernement a été rapatriée de force depuis le Kenya et placée en détention prolongée par le Service national de la sûreté (NSS). Les forces de sécurité et des groupes armés ont commis de graves atteintes aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des homicides illégaux et des violences sexuelles et fondées sur le genre liées aux conflits. Les différentes parties ont également recruté et utilisé des enfants. Un organe des Nations unies en charge des droits humains a dénoncé l’impunité dont jouissaient toujours certains hauts responsables gouvernementaux coupables de graves violations des droits humains. Le Conseil des ministres a approuvé plusieurs projets de loi relatifs aux crimes perpétrés par le passé et aux réparations pour les victimes. La situation humanitaire demeurait catastrophique. Selon les estimations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], environ 76 % de la population a eu besoin d’aide humanitaire durant l’année. Des millions de personnes étaient confrontées à une forte insécurité alimentaire. Les services de santé étaient essentiellement assurés par des donateurs internationaux. Le pays comptait deux millions de personnes déplacées, et près de 2,23 millions de Soudanais·es du Sud avaient trouvé refuge dans des pays voisins. Les phénomènes liés au changement climatique (inondations, sécheresses, etc.) ont privé quelque deux millions de personnes de nourriture ou de terres agricoles.

Contexte

Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a renouvelé en avril le mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud.

En mai, le Conseil de sécurité [ONU] a reconduit d’un an, jusqu’au 30 mai 2024, l’embargo sur les armes imposé au Soudan du Sud.

Les préparatifs en vue des élections prévues pour décembre 2024, les premières organisées au Soudan du Sud, se sont poursuivis. Les principales conditions indispensables à la tenue d’un scrutin, fixées par l’accord de paix de 2018, tardaient toutefois à se mettre en place. Le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) a confié le 4 juillet au président de la République, Salva Kiir, la direction de sa campagne électorale.

Selon les Nations unies, au moins 20 personnes sont mortes lors d’affrontements interethniques qui ont éclaté en juin dans un camp de protection des civil·e·s géré par la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) à Malakal, dans l’État du Haut-Nil. Des combats, qui ont fait au moins 87 morts, ont également éclaté dans le comté de Pochalla (région administrative de Pibor).

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Les 3 et 4 janvier, sept journalistes de la South Sudan Broadcasting Corporation (SSBC) ont été arbitrairement arrêtés et incarcérés au centre de détention du NSS de Djouba, la capitale du pays. Joval Tombe, Joseph Oliver, Mustafa Osman, Victor Lado, Cherbek Ruben, Jacob Benjamin et John Garang ont été arrêtés en lien avec une vidéo circulant sur les réseaux sociaux dans laquelle le président, Salva Kiir, semblait s’uriner dessus lors d’une cérémonie officielle. Ils ont tous été relâchés sans inculpation entre le 19 janvier et le 18 mars. Détenu jusqu’au 18 mars, John Garang aurait été soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements.

Lors d’une conférence de presse au mois d’avril, le ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement Michael Makuei Lueth a menacé d’arrestation les journalistes qui travaillaient pour Radio Miraya, station de radio gérée par la MINUSS, officiellement au motif que celle-ci ne s’était pas déclarée auprès de l’autorité en charge des médias, comme il en avait intimé l’ordre à tous les organes de presse. Ce même ministre a reconnu en octobre que le gouvernement pratiquait la censure et supprimait les articles considérés comme incitant à la haine.

Le journaliste politique Woja Emmanuel a annoncé en mai sur les réseaux sociaux avoir renoncé à exercer son métier parce qu’il craignait pour sa vie. Selon un rapport de la Commission des droits de l’homme au Soudan du Sud en date du 5 octobre, sa décision pourrait avoir été motivée par le harcèlement des journalistes auquel se livraient les autorités et par le traumatisme qui en résultait.

Le 18 septembre, le NSS a interrompu et dispersé un rassemblement organisé à Djouba par l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud (SSOA) pour accueillir son secrétaire général, Lam Akol, de retour au pays après plusieurs années d’exil.

Droit de circuler librement

L’ancien prisonnier politique Kuel Aguer Kuel, membre de la Coalition populaire d’action civile, s’est vu interdire de quitter le pays le 19 avril. Il en a été empêché par des fonctionnaires à l’aéroport de Djouba, au motif qu’il n’avait pas « d’autorisation de voyager ». Son passeport a été confisqué à l’aéroport, manifestement sur ordre de la Présidence. Kuel Aguer Kuel souhaitait se rendre en Inde pour y recevoir des soins médicaux.

Le Mouvement populaire de libération du Soudan du Sud-Opposition (MPLS-O) a annoncé publiquement le 18 septembre que les autorités n’avaient pas autorisé son dirigeant, Riek Machar Teny Dhurgon, premier vice-président du pays, à quitter Djouba.

Arrestations et détentions arbitraires

La Loi de 2014 relative au NSS n’avait toujours pas été modifiée par le gouvernement, malgré les dispositions en ce sens des accords de paix de 2015 et 2018. Ce texte octroyait aux agents du NSS des pouvoirs semblables à ceux de la police en matière d’arrestation et de placement en détention, en violation du mandat attribué à ce service par la Constitution, qui consistait en la collecte de renseignements.

Morris Mabior Awikjok Bak, citoyen sud-soudanais critique à l’égard de la politique du gouvernement, a été arrêté arbitrairement le 4 février à Nairobi par des agents des forces de sécurité kenyanes et renvoyé contre son gré à Djouba le lendemain. À la fin de l’année, il était toujours détenu par le NSS à Djouba, dans un centre appelé la « Maison bleue », où il était soumis à des interrogatoires à répétition. Il n’a pas eu le droit de voir un·e avocat·e ni été présenté à un·e juge. En septembre, alors que son état de santé était manifestement en train de se détériorer, il n’a pas été autorisé à consulter un médecin et n’a pas reçu de traitement.

Réuni à Djouba le 11 septembre, le bureau politique du MPLS-O s’est déclaré préoccupé par les arrestations arbitraires, les placements en détention, les actes de torture et autres mauvais traitements et les disparitions forcées dont les membres de ce parti étaient régulièrement victimes.

Exécutions extrajudiciaires

Les Nations unies ont déclaré avoir recensé 25 exécutions extrajudiciaires entre les mois de janvier et de novembre. Dix-sept des victimes, dont une femme, ont été exécutées dans l’État de Warab, et les huit autres dans l’État des lacs. Selon l’ONU, ces exécutions auraient été perpétrées par des membres des forces de sécurité du Soudan du Sud.

Violences sexuelles ou fondées sur le genre

Un rapport de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud paru en avril a dénoncé le cercle infernal des violences sexuelles et fondées sur le genre commises dans le cadre de conflits dans certaines parties du pays. La plupart étaient le fait de membres des Forces de défense populaires du Soudan du Sud (FDPSS), de l’Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (APLS-O), de groupes de jeunes armés proches du pouvoir, de forces d’opposition ou d’autres éléments armés.

Droits des enfants

Selon le rapport 2023 du secrétaire général des Nations unies sur la situation au Soudan du Sud, de graves violations ont été commises contre 181 enfants (154 garçons et 27 filles) entre les mois de juin et de novembre ; 103 mineur·e·s (102 garçons et une fille) ont notamment été recrutés et utilisés, 24 enfants ont été tués et quatre autres mutilés, et une fille a été violée. Ces actes ont été commis aussi bien par les forces régulières que par des groupes armés.

Impunité

Dans son rapport d’avril, la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud a dénoncé l’inaction des autorités face à l’impunité endémique qui régnait dans le pays. Elle a déploré le fait que de hauts responsables civils et militaires soupçonnés d’avoir commis des violations des droits humains soient toujours en poste, voire aient été promus ou nommés à des fonctions convoitées, ce qui les encourageait, ainsi que d’autres, à perpétrer de nouvelles exactions. Ce rapport désignait trois hauts responsables qui, selon la Commission, devraient être amenés à rendre des comptes pour de graves violations des droits humains.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Une victime de violences sexuelles liées aux conflits a témoigné devant le Conseil des droits de l’homme lors de sa session de mars, enjoignant à l’assemblée de faire en sorte que les personnes dont les droits étaient bafoués au Soudan du Sud obtiennent justice.

Du 15 au 17 mai, le gouvernement a organisé à Djouba une Conférence sur les mécanismes de justice de transition. Ses objectifs étaient notamment d’examiner le degré d’avancement de la mise en place des mécanismes de justice transitionnels prévus au titre de l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit au Soudan du Sud ; de tirer des enseignements des expériences acquises dans la région ; et de parvenir à un consensus sur le contenu et l’adoption de projets de loi consacrant la création de la Commission vérité, réconciliation et guérison et de l’Autorité d’indemnisation et de réparation. Les projets de lois portant création de ces deux organismes ont été approuvés en novembre par le Conseil des ministres. Ils devaient être soumis à l’examen du Parlement avant promulgation par le président de la République.

Privation d’aide humanitaire

Le Soudan du Sud était toujours l’endroit de la planète où les travailleuses et travailleurs humanitaires risquaient le plus leur vie. Au moins 25 d’entre eux ont été tués, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires. Le 23 septembre, deux camions affrétés par l’UNICEF ont été attaqués alors qu’ils rentraient à Djouba après avoir livré des produits essentiels à la survie d’enfants et de leurs familles dans le comté de Yei (État d’Équatoria-Central). Deux des chauffeurs ont été tués et un troisième blessé.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a estimé que 76 % de la population, soit 9,4 millions de personnes, dont 4,9 millions d’enfants, avaient eu besoin d’aide humanitaire et de protection en 2023. Les combats qui ont éclaté au Soudan voisin en avril ont aggravé la situation humanitaire déjà très difficile. À la fin de l’année, 456 974 personnes fuyant ces combats avaient trouvé refuge au Soudan du Sud (voir Droit à l’alimentation) ; 80 % d’entre elles étaient des ressortissant·e·s sud-soudanais de retour dans leur pays. Le Plan de réponse humanitaire de l’ONU pour 2023 n’avait reçu à la fin de l’année que 53 % des 1,7 milliard de dollars des États-Unis nécessaires pour apporter à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants l’assistance et la protection vitales dont ils avaient absolument besoin.

Droit à l’alimentation

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires comptait en décembre 5,83 millions de personnes en forte insécurité alimentaire au Soudan du Sud (soit 46 % de la population). Quelque 35 000 personnes étaient confrontées à des niveaux de famine catastrophiques : 6 000 habitant·e·s des comtés de Duk et de Nyirol (État de Jonglei), 15 000 habitant·e·s du comté de Rubkona (État d’Unité), et environ 14 000 Sud-Soudanais·es de retour dans le pays après avoir fui le conflit au Soudan voisin. Les moyens du programme humanitaire de l’ONU étant limités par un financement insuffisant, la priorité a dû être donnée à l’aide alimentaire d’urgence en faveur des 3,2 millions de personnes les plus touchées par l’insécurité alimentaire.

Droit à la santé

Les services de santé étaient principalement assurés par des donateurs internationaux.

Le ministère de la Santé a confirmé le 6 juin la présence de foyers de rougeole dans l’État du Haut-Nil, puis, le 20 juillet, dans les États d’Équatoria-Central et de Warab. Face à cette situation, le ministère et ses partenaires ont intensifié leur action, en mettant en place des services de santé mobiles pour assurer les consultations, la vaccination, l’orientation des patient·e·s et la distribution de trousses médicales d’urgence.

Selon l’ONU, au 16 juin, plus de 150 cas d’une maladie non identifiée, dont 23 mortels, avaient été signalés au dispensaire de Darjo, dans le comté de Longochuk (État du Haut-Nil).

Droits des personnes déplacées, réfugiées ou migrantes

Le Soudan du Sud était le théâtre de la plus importante crise liée aux réfugié·e·s du continent africain ; près de 2,23 millions de personnes étaient réfugiées dans les pays voisins, majoritairement en Ouganda, et deux millions d’autres étaient déplacées à l’intérieur du pays.

Le 8 octobre, le gouvernement a repoussé la visite que devait effectuer du 9 au 20 octobre la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays. Celle-ci souhaitait recueillir des informations de première main sur le sort réservé aux personnes déplacées, discuter avec le gouvernement et d’autres interlocuteurs des questions de prévention et des causes profondes du déplacement intérieur, voir quels étaient les besoins des individus concernés ainsi que leur situation en matière de droits fondamentaux, et étudier quelles solutions durables pourraient être apportées. À la fin de l’année, le gouvernement n’avait toujours pas proposé de nouvelle date pour cette visite.

Droit à un environnement sain

Le Soudan du Sud restait confronté à des risques induits par le changement climatique (inondations et épisodes de sécheresse, notamment). Le pays a connu sa quatrième année consécutive d’inondations. Celles-ci ont touché les deux tiers du territoire, privant des millions d’habitant·e·s de nourriture et de terres agricoles, en particulier dans les États d’Unité et de Jonglei. Elles ont endommagé des logements et des établissements scolaires, détruit des récoltes et des biens domestiques, compromis l’accès à l’eau potable et entravé l’acheminement de l’aide humanitaire.

S’exprimant lors du Sommet africain sur le climat, qui s’est tenu à Nairobi en septembre, le chef de l’État a déclaré qu’au moins deux millions de Sud-Soudanais·es avaient perdu leurs moyens de subsistance en raison du changement climatique