Sierra Leone. Les lois et règlements relatifs à Ebola ne doivent pas servir à restreindre la liberté d’expression et de réunion

La Sierra Leone doit cesser de se servir des dispositions d’urgence mises en œuvre pour lutter contre Ebola comme prétexte pour restreindre les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, a déclaré Amnesty International lundi 4 mai 2015.

Maintenant que les cas d’Ebola diminuent et que les écoles ont rouvert leurs portes, le gouvernement doit réviser les dispositions relatives à l’état d’urgence et ne maintenir en vigueur que celles qui sont strictement nécessaires pour lutter contre l’épidémie d’Ebola. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ne doivent pas être entravés de manière inutile et disproportionnée.

Sabrina Mahtani, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International

En effet, en Sierra Leone, les arrestations d’opposants se multiplient, nombre de manifestations pacifiques sont interdites et la dissidence est de moins en moins tolérée depuis le limogeage du vice-président Samuel Sam-Sumana, le 18 mars. Même si les cas d’Ebola ont fortement diminué en Sierra Leone, la législation d’exception et d’autres lois sont de plus en plus utilisées pour museler les critiques, dont certaines porteraient sur le renvoi du vice-président.

À l’occasion de la Fête de l’Indépendance du pays, le 27 avril, 15 membres du principal parti de l’opposition, le Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP), et un haut responsable de la Commission des droits humains de Sierra Leone, ont été arrêtés à Kenema, dans la province de l’Est. Ils comparaissent actuellement devant les tribunaux. La police aurait ce jour-là recouru à une force excessive, et plusieurs personnes ont été blessées. La marche à l’initiative de l’Association des journalistes de Sierra Leone (SLAJ) à l’occasion de la Fête de l’Indépendance, à Freetown, a été interdite. Huit jours auparavant, 10 personnes ont été arrêtées pour avoir protesté devant l’ambassade des États-Unis, tandis qu’en mars, un rassemblement de l’Ordre des avocats de Sierra Leone était dispersé. En revanche, les rassemblements et les événements organisés par le parti au pouvoir sont autorisés.

En novembre 2014, un journaliste a été détenu pendant 11 jours pour avoir critiqué la réaction à la crise d’Ebola. En avril 2015, huit personnes de Kono ont été détenues sans inculpation pendant six mois, à la suite de troubles liés à un cas présumé d’Ebola. Au mois d’avril, un homme a été inculpé d’insulte envers le président, après avoir transmis un message Whatsapp dont il n’était pas l’auteur.

Dans tous ces cas, sauf le dernier, la police a justifié son action en invoquant les pouvoirs que lui confèrent les dispositions d’urgence.

Toutes les restrictions relatives aux droits humains imposées notamment au titre des dispositions d’urgence doivent respecter le droit international et les normes internationales, et ne doivent pas être appliquées de manière arbitraire ni discriminatoire. Certains droits, comme le droit à un procès équitable ou l’interdiction des mauvais traitements, ne doivent pas être dénigrés, même dans le cadre de l’état d’urgence. Au lieu de chercher à étouffer la dissidence, les autorités doivent s’efforcer de lutter contre l’épidémie d’Ebola.

Sabrina Mahtani

Amnesty International exhorte le gouvernement de la Sierra Leone à réviser la législation d’exception et à garantir que chacun puisse exercer son droit à la liberté d’expression et de réunion, conformément au droit international et régional relatif aux droits humains. Elle demande également qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée sur les allégations de recours excessif à la force par la police à Kenema, lors de la Fête de l’Indépendance.

Complément d’information

Le 27 avril, jour de la Fête nationale en Sierra Leone, 15 personnes ont été arrêtées dans la ville de Kenema, à la suite d’une manifestation devant les bureaux du Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP). Selon des témoins, la police a tiré des gaz lacrymogènes sur une foule d’une centaine de personnes et frappé des manifestants à coups de bâtons. La police a plus tard affirmé avoir procédé à ces arrestations au titre des dispositions d’urgence interdisant les rassemblements publics, ajoutant que la manifestation n’avait pas reçu l’aval des autorités.

À la suite de ce rassemblement, la présidente Ella Goba et le responsable des relations publiques Dawson Kuyateh ont été arrêtés et roués de coups lorsqu’ils se sont rendus au poste de police pour s’enquérir du sort réservé aux personnes arrêtées. D’après des photos confirmées par des témoins, Ella Goba a le visage tuméfié, un œil au beurre noir et des blessures aux bras. Selon l’avocat de Dawson Kuyateh, celui-ci présentait des blessures au cou et à la tête.

Le haut représentant régional de la Commission des droits humains, Hassan Yajah, a également été interpellé et aurait été battu au poste de police alors qu’il tentait d’intervenir. Dans la matinée, il avait évoqué à la radio un récent communiqué de presse de la Commission qui soulevait des inquiétudes quant à l’application discriminatoire des dispositions d’urgence.

Les 15 membres du SLPP et le haut représentant régional de la Commission des droits humains ont été inculpés de 11 chefs au titre de la Loi sur les pouvoirs exceptionnels (interdiction de rassemblements publics), la Loi relative à l’ordre public et la common law. Ils se sont vus refuser la libération sous caution le 28 avril et de nouveau le 1er mai, alors que leurs avocats avaient déposé une demande pour raisons médicales, car la plupart souffraient de leurs blessures. Tous sont détenus à la prison de Kenema et comparaîtront de nouveau devant les tribunaux le 8 mai.

La marche d’Ebola lors de la Journée de l’Indépendance interdite, le 27 avril.

La marche prévue lors de la Journée de l’Indépendance, le 27 avril, en partenariat avec l’Association des journalistes de Sierra Leone (SLAJ), destinée à lancer le leadership et la participation des femmes dans la campagne zéro Ebola, a été interdite. La police sierra-léonaise a annulé l’autorisation requise. Le lendemain, elle a déclaré avoir reçu des informations sur les groupes prévoyant de se joindre à la manifestation pour protester contre des questions non liées à Ebola, ce qui n’est pas autorisé au titre des dispositions d’urgence.

Des manifestants arrêtés à la suite du rassemblement devant l’ambassade des États-Unis à Freetown, le 19 avril

Le 19 avril, 10 personnes, principalement des partisans du SLPP, ont été arrêtées trois jours après avoir organisé un rassemblement pacifique devant l’ambassade des États-Unis. Les manifestants chantaient l’hymne national et brandissaient des pancartes dénonçant le limogeage du vice-président et la mauvaise gestion des fonds alloués à la lutte contre Ebola, l’Auditeur général de la Sierra Leone ayant publié un rapport critique à ce sujet. La police a dispersé les manifestants et relevé les noms des organisateurs. Les manifestants pensent qu’ils ont été arrêtés au titre de la Loi sur les pouvoirs exceptionnels, qui interdit les rassemblements publics. Ils ont été détenus pendant trois jours, avant d’être libérés sous caution par la police. Ils doivent se présenter régulièrement au poste.

Le rassemblement de l’Ordre des avocats de Sierra Leone dispersé, le 20 mars

Le rassemblement de l’Ordre des avocats de Sierra Leone devant le palais de justice, à Freetown, le 20 mars 2015, a été interrompu par la police, qui a expliqué que ce rassemblement n’était pas lié à Ebola et s’était prolongé au-delà de 18 heures. Selon de nombreux avocats, le motif est en fait qu’ils étaient sur le point de voter sur la constitutionalité de la décision prise par le président de limoger le vice-président. Un avocat a été arrêté alors qu’il quittait le tribunal avec un groupe de confrères en chantant l’hymne national et en brandissant une pancarte. Il a été libéré quelques heures plus tard. La police a ensuite rejeté la demande de l’Ordre des avocats pour organiser un autre rassemblement.

La Sierra Leone se bat contre l’épidémie d’Ebola depuis une année. Le bilan s’élève à plus de 3 800 morts. En juillet 2014, le président a décrété l’état d’urgence et a promulgué la Loi de 2014 sur les pouvoirs exceptionnels. Des règlements relatifs à la prévention d’Ebola et d’autres maladies ont également été adoptés par le ministère de la Gouvernance locale. Ils prévoyaient notamment l’interdiction des rassemblements publics. Ils visaient à permettre au gouvernement et à ses partenaires de gérer plus efficacement l’épidémie d’Ebola.

Or, cette épidémie reculant, certaines préoccupations se font jour quant au durcissement des restrictions à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Le vice-président Samuel Sam-Sumana a été exclu le 6 mars 2015 du Congrès du peuple réuni (APC), le parti politique au pouvoir, alors qu’il s’était mis volontairement en quarantaine d’Ebola. Le président l’a limogé le 18 mars et a nommé un nouveau vice-président. Samuel Sam-Sumana a porté plainte auprès de la Cour suprême afin que son remplaçant n’assure pas ses fonctions dans l’attente de la décision finale concernant la légalité de son renvoi. La cour n’a toujours pas rendu sa décision, mais une vague de protestations a déferlé, particulièrement au sein de la diaspora, mettant en cause la constitutionnalité de cette mesure et la mauvaise gestion des fonds alloués à la lutte contre Ebola.

Amnesty International a déjà fait part de ses inquiétudes concernant les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique au cours des derniers mois, entravés notamment au titre de la législation d’exception. Ces droits sont inscrits dans la Constitution de la Sierra Leone et les traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains auxquels le pays est partie, comme la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples.

Le 23 avril 2015, dans un communiqué de presse, la Commission des droits humains de Sierra Leone a mis en cause l’application discriminatoire de la Loi de 2014 sur les pouvoirs exceptionnels, particulièrement de l’article 15 qui bat en brèche le droit à la liberté de réunion et d’association. Elle a constaté que certains groupes sont autorisés à se réunir et à exprimer leurs opinions, tandis que d’autres en sont empêchés par la police de Sierra Leone. Elle a également exhorté le Parlement à réviser cette Loi, étant donné la diminution du nombre de cas d’Ebola et la réouverture des écoles début avril 2015.

Amnesty International avait déjà mis en lumière la situation de deux femmes et de six hommes de Kono, détenus pendant six mois sans inculpation au titre d’un décret présidentiel, à la suite d’une émeute qui serait liée à un cas présumé d’Ebola. Cinq autres hommes ont été arrêtés au titre du même décret entre février et mars 2015, dans le cadre du même événement. Les garanties constitutionnelles, comme l’examen de leur détention par un tribunal indépendant, n’ont pas été respectées. Les deux femmes ont été libérées le 12 avril, grâce à la mobilisation de la société civile, tandis que les 11 hommes ont finalement été inculpés le 21 avril après avoir déposé une requête en habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté). D’aucuns pensent que ces arrestations sont motivées par leur statut présumé de partisans de l’ancien vice-président.

Amnesty International avait déjà évoqué le cas de David Tam Bayroh, journaliste arrêté en novembre 2014 pour des commentaires faits pendant son émission de radio au sujet de la réaction du gouvernement à l’épidémie d’Ebola. On lui a présenté un mandat d’arrêt signé par le président Ernest Bai Koroma, qui l’accusait de provocation. Il a été détenu pendant 11 jours et libéré sous caution. Des journalistes affirment que, depuis lors, ils pratiquent l’autocensure.

Le gouvernement réagit durement face à la critique des citoyens, comme des médias. Mamoud Tim Kargbo a été inculpé de cinq chefs d’accusation au titre de la Loi de 1964 relative à l’ordre public, notamment de diffamation, pour avoir transmis un message WhatsApp qui critiquait le président, alors qu’il n’en était pas l’auteur. Son procès s’est ouvert le 8 avril et se poursuit. Il est détenu à la prison de Pademba Road depuis près d’un mois, ses demandes de libération sous caution ayant été rejetées. Dans une autre affaire, Ansumana Bangura a été condamné le 22 avril à six mois de prison, reconnu coupable d’avoir tenu des propos menaçants, d’insulte publique et de provocation au titre de la Loi relative à l’ordre public. Il aurait insulté le président en public et en présence d’un policier.