France. Halte à la course à la surveillance

Les autorités françaises se verront accorder des pouvoirs très étendus afin de surveiller les citoyens, sur Internet et ailleurs, si l’Assemblée nationale approuve un nouveau projet de loi relatif au renseignement mardi 5 mai, a déclaré Amnesty International.

L’organisation a estimé qu’habiliter le Premier ministre à autoriser des mesures de surveillance sans l’aval d’un juge ne permettrait pas de respecter le principe d’équilibre des pouvoirs.

Ce texte rapprocherait la France d’un État espion où rien n’est secret sauf la surveillance elle-même.

Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International

« Ce texte rapprocherait la France d’un État espion où rien n’est secret sauf la surveillance elle-même. Même les journalistes, les juges, les politiciens et les personnes entrées à leur insu en contact avec des suspects sont susceptibles d’être soumis à une surveillance intrusive », a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Les autorités françaises pourraient bientôt poser des dispositifs d’écoute chez les gens, dans leur voiture ou sur leur ligne téléphonique sans l’accord d’un juge, même lorsqu’il n’existe aucune raison de soupçonner qu’ils aient fait quelque chose de mal. »

Si le gouvernement présente le projet de loi relatif au renseignement comme une mesure de lutte contre le terrorisme, celui-ci permettrait également au Premier ministre d’autoriser des mesures de surveillance intrusives ayant plusieurs autres finalités générales et mal définies, parmi lesquelles les « intérêts essentiels de la politique étrangère ». On ne sait pas clairement ce que recouvrent ces termes vagues. Ils pourraient par exemple viser des personnes organisant des manifestations non violentes.

Sur ordre du Premier ministre, les autorités françaises pourraient pirater des ordinateurs ou appareils mobiles, suivre des personnes grâce à la géolocalisation et espionner les courriels, SMS et autres communications d’une personne susceptible d’être en contact, volontairement ou non, avec un individu impliqué dans des activités suspectes. 

Le projet de loi permettrait à des membres des forces de sécurité, entre autres, d’installer des dispositifs d’enregistrement à bord des voitures et dans les logements, d’utiliser des capteurs de proximité pour suivre les mouvements des personnes, et de placer des enregistreurs de frappe sur les ordinateurs afin de savoir en temps réel ce qui est écrit à l’aide du clavier. Tout cela sans l’aval de la justice.

Les autorités françaises pourraient bientôt poser des dispositifs d’écoute chez les gens, dans leur voiture ou sur leur ligne téléphonique sans l’accord d’un juge, même lorsqu’il n’existe aucune raison de soupçonner qu’ils aient fait quelque chose de mal.

Gauri van Gulik

Dans le but de prévenir le terrorisme, le projet de loi obligerait par ailleurs les fournisseurs d’accès à Internet et les opérateurs téléphoniques à ajouter des « boîtes noires » à leurs infrastructures afin d’enregistrer les « métadonnées » – c’est-à-dire à qui les internautes écrivent et quand.

Au lieu de solliciter l’autorisation d’un juge pour approuver des mesures de surveillance, le Premier ministre serait tenu de consulter la « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement », un organe nouveau. Celle-ci est cependant uniquement habilitée à émettre des recommandations non contraignantes, et n’a pas le pouvoir d’empêcher une surveillance illégitime.

Il est en outre très important de noter que le nouveau projet de loi permettrait au Premier ministre d’autoriser l’interception de communications électroniques « émises ou reçues à l’étranger ». Cela est suffisamment flou pour ouvrir la voie à une surveillance de masse sans discrimination de l’utilisation d’Internet lorsque les serveurs – comme ceux de Google – sont situés dans un autre pays. Cela concernerait la surveillance des courriels – même si ceux-ci sont envoyés à des personnes résidant dans le même pays -, d’informations sensibles présentes sur les « nuages » informatiques, d’informations confidentielles en ligne – notamment les rendez-vous médicaux – ou de données sur les recherches Internet.

La question des conditions qui seraient requises pour que cette surveillance soit mise en place sera précisée plus tard dans un décret public. Les techniques employées pour mener cette surveillance à bien seraient définies par un autre décret, secret celui-là.

« Ce projet de loi est trop vague, sa portée trop vaste, et il laisse trop de questions sans réponse. L’Assemblée nationale doit veiller à ce que des mesures censées protéger les citoyens contre le terrorisme ne portent pas atteinte à leurs droits fondamentaux », a déclaré Gauri van Gulik.

Pour en savoir plus, découvrez cinq faits inacceptables à propos de la surveillance de vos communications que la France veut mettre en place.

Complément d’information

Si les députés français se prononcent en faveur du projet de loi, celui-ci sera alors soumis à un autre vote au Sénat. Il est possible qu’une commission spéciale soit créée afin d’analyser ce texte avant qu’il ne soit promulgué. Le projet de loi a été débattu à l’Assemblée nationale entre les 13 et 16 avril, après avoir fait l’objet d’une discussion en commission le 1er avril.

Il dresse la liste de sept domaines d’intérêt public pour lesquels les services du renseignement peuvent effectuer une surveillance. Ceux-ci incluent la promotion d’« intérêts essentiels de la politique étrangère », et la prévention de « toute forme d’ingérence étrangère », des « violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique » ou de la « criminalité organisée ».

Amnesty International a engagé une action en justice contre les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni afin de contester leurs pratiques de surveillance de masse sans discrimination, qui présentent certaines similitudes avec celles que le gouvernement français souhaite adopter.

Le 10 mars, l’Union américaine pour les libertés publiques a saisi la justice contre les États-Unis au nom d’un vaste groupe d’organisations parmi lesquelles figure Amnesty International États-Unis. Le 10 avril, des groupes de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont annoncé qu’ils intentaient une action auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre le gouvernement du Royaume-Uni.