Russie. Le droit de manifester menacé de disparition

Avec la répression croissante engagée ces derniers mois contre ceux qui critiquent le gouvernement ou expriment des voix dissidentes, le droit de manifester risque de disparaître en Russie, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport paru mardi 3 juin 2014.

Intitulé Un droit, pas un crime. Les violations du droit à la liberté de réunion en Russie, ce rapport analyse les changements législatifs et politiques survenus depuis le début du troisième mandat du président Vladimir Poutine, il y a deux ans. Il paraît à l’heure où le Parlement russe examine une loi prévoyant de lourdes sanctions pénales contre les organisations qui violeraient à plusieurs reprises les règles extrêmement restrictives sur les rassemblements publics. « L’intransigeance des autorités face à la vague de manifestations qui a eu lieu à Moscou en février et en mars 2014 a montré combien il était devenu difficile et dangereux d’organiser des manifestations et d’y participer. Le droit à la liberté de réunion est depuis longtemps restreint en Russie, mais il risque aujourd’hui de disparaître totalement », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. En vertu de la législation draconienne appliquée avec rigueur par les autorités : – tous les rassemblements publics doivent être autorisés à l’avance, sauf s’ils se tiennent dans des endroits isolés désignés par les autorités. Le non-respect de cette disposition entraîne de lourdes amendes pour les organisateurs et les participants. Les personnes accusées de résistance aux forces de l’ordre risquent jusqu’à 15 jours de détention ; – les rassemblements organisés par des personnes qui défendent des opinions critiques, dissidentes ou minoritaires ne sont presque jamais autorisés à l’endroit demandé ; – seules les manifestations d’une seule personne sont possibles sans autorisation, mais même ce type de protestation a été arbitrairement réprimé ces derniers mois ; – les rassemblements spontanés sont automatiquement considérés comme illégaux et couramment dispersés ; – les manifestants pacifiques risquent une arrestation arbitraire et une amende ou une brève détention. Le rapport d’Amnesty International dénonce l’interdiction arbitraire des manifestations, la dispersion violente et l’arrestation arbitraire des manifestants, et l’incapacité des tribunaux à faire respecter le droit à la liberté de réunion. Après une période plus calme à la suite de la répression de la manifestation de la place Bolotnaïa en mai 2012, Amnesty International a recensé 10 manifestations en février et en mars 2014 à Moscou ; sept d’entre elles au moins ont été dispersées par la police, qui a arrêté plus d’un millier de manifestants pacifiques. Des centaines d’entre eux ont reçu de lourdes amendes et plus d’une dizaine ont été condamnés à plusieurs jours de détention à l’issue de procès inéquitables. Les nouvelles lois adoptées en 2012 sont aussi utilisées pour disperser des rassemblements spontanés et pour empêcher les manifestations antigouvernementales dans les quartiers populaires. À plusieurs reprises, les forces de l’ordre ont laissé des contre-manifestants intimider voire agresser physiquement des manifestants avant leur dispersion. De même, les responsables de l’application des lois jouissent d’une impunité quasi-totale en cas de recours abusif à la force, ce qui est fréquent. En 2013 et début 2014, aucune des actions publiques prévues par des militants d’Amnesty International dans des quartiers populaires de Moscou n’a obtenu l’autorisation demandée. Les autorités ont proposé à chaque fois d’autres lieux situés dans des parcs isolés et déserts. À l’inverse, des manifestations progouvernementales sont souvent autorisées à des endroits refusés aux voix dissidentes, voire dans des zones officiellement interdites à toute manifestation. Un groupe indépendant a mesuré la fréquentation dans différents lieux. Ceux demandés par Amnesty International et d’autres groupes voyaient passer en moyenne 788 à 5 374 personnes par heure, tandis que les autres lieux proposés par les autorités n’étaient fréquentés que par un maximum de 34 personnes par heure. À maintes reprises, les tribunaux russes n’ont pas su protéger le droit à la liberté de réunion. Ils n’ont que très rarement jugées illégales les interdictions de manifestations, et jamais à temps pour que la manifestation puisse se tenir. En raison de la réduction des garanties procédurales dans les affaires administratives et de la réticence de nombreux juges à remettre en cause – voire simplement à examiner avec soin – les déclarations de la police, des centaines de personnes ont été condamnées à des amendes et quelques autres à des peines de détention à l’issue de procès inéquitables. « Il apparaît de plus en plus clairement que les autorités russes cherchent à exercer un contrôle total sur l’utilisation de l’espace public et sur les opinions qui peuvent y être communiquées ou exprimées – et que les tribunaux du pays n’ont pas la capacité ou la volonté de résister à cette tendance », a déclaré Denis Krivosheev. « Manifestations interdites, ONG contraintes de mettre la clé sous la porte et médias indépendants muselés : l’opposition se trouve de plus en plus confinée à l’intimité des domiciles privés. Cette situation est inquiétante pour l’avenir et n’est pas sans rappeler, de sinistre mémoire, le passé pas si lointain de la Russie. »