Yémen. Trois ans après les homicides perpétrés lors d’une manifestation à Sanaa, justice n’a toujours pas été rendue

Les autorités yéménites n’ont à l’évidence pas diligenté d’enquête indépendante et approfondie sur la mort d’au moins 50 manifestants et passants non violents, tués à Sanaa lors d’un des épisodes les plus sanglants du soulèvement de 2011, a déclaré Amnesty International. À l’occasion du troisième anniversaire des homicides du « Vendredi de la dignité », l’organisation demande la création d’une commission d’enquête indépendante qui, avec l’aide de la communauté internationale, serait chargée de mener des investigations sur cet événement et sur toutes les autres violations des droits humains perpétrées en 2011. « Trois années ont passé depuis la tuerie du ” Vendredi de la dignité ” et les autorités yéménites n’ont toujours pas mené d’enquête digne de ce nom ni rendu justice. Les promesses selon lesquelles le président Abd Rabbu Mansour Hadi établirait une commission d’enquête indépendante n’ont pas été tenues », a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International. « En se faisant prier pour qu’une enquête exhaustive et impartiale soit menée sur ces homicides, les autorités yéménites nous disent que la justice et l’obligation de rendre des comptes ne sont pas une priorité pour elles, un message choquant. » Amnesty International demande aux autorités yéménites de veiller à ce que toute commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ces homicides ait l’expertise et les ressources requises (en mettant la communauté internationale à contribution si nécessaire), le pouvoir d’obliger les témoins – même s’il s’agit de responsables gouvernementaux – à coopérer avec l’enquête, et la capacité de protéger les témoins des manœuvres d’intimidation. Cette commission devrait par ailleurs faire des recommandations concrètes aux autorités yéménites sur la marche à suivre pour amener les responsables présumés de ces homicides à rendre des comptes, pour accorder des réparations adéquates aux victimes et à leur famille, et pour veiller à ce que les forces de sécurité respectent les normes internationales en matière de droits humains. Le 18 mars 2011, des hommes armés non identifiés ont ouvert le feu lors d’une manifestation pacifique sur la place du Changement, à Sanaa, tuant au moins 50 manifestants et passants. Une enquête a été ouverte peu après par le procureur général de l’époque. Cependant, deux semaines plus tard, l’ancien président Ali Abdullah Saleh l’a remplacé après qu’il ait publiquement déploré que ses tentatives d’examiner les allégations relatives à l’implication de hauts représentants de l’État aient été bloquées. En juillet 2011, l’affaire a été portée devant un tribunal pénal à Sanaa, qui a plus tard ordonné au nouveau procureur général d’enquêter sur plusieurs hauts responsables – tels que l’ancien président – qui n’avaient pas été inculpés mais sont fortement soupçonnés d’avoir joué un rôle dans l’affaire. Le procureur général a refusé. La perspective que justice soit rendue dans le système actuel est compromise par le fait qu’une loi adoptée en 2012 accorde l’immunité à l’ancien président et à toutes les personnes qui travaillaient sous ses ordres lorsqu’il était au pouvoir. C’est là une violation claire de l’obligation faite au Yémen, en vertu du droit international, d’enquêter sur les auteurs présumés de violations des droits humains et de lancer des poursuites le cas échéant. « La loi d’immunité est absolument inacceptable et doit immédiatement être abrogée. Dans les faits, elle permet à toute personne soupçonnée d’avoir commis des violations des droits humains d’échapper aux poursuites si elle est associée au gouvernement précédent », a déclaré Philip Luther. En dépit des grandes difficultés auxquelles il est confronté, le Yémen a pris quelques mesures positives ces dernières années. Celles-ci incluent la promotion de la représentation des femmes, des jeunes et de groupes ayant des griefs particuliers contre les autorités centrales yéménites – comme les populations du sud – dans le cadre d’un dialogue national qui a débouché sur des recommandations qui, si elles étaient suivies, devraient améliorer le bilan du pays en termes de droits humains. Certaines initiatives visant à restructurer l’armée et les forces de sécurité et à améliorer la surveillance de leurs pratiques sont également encourageantes, de même que les projets de création d’une instance nationale de défense des droits humains. « Le Yémen a commencé à introduire quelques réformes prometteuses sur le terrain des droits humains. Il ne saurait cependant y avoir de réforme pérenne si les victimes et leur famille n’obtiennent pas justice. Si le gouvernement souhaite faire la preuve de son sérieux en ce qui concerne les droits humains, il doit s’attaquer à la banalisation de l’impunité », a déclaré Philip Luther. « Le meilleur moyen pour les autorités de commémorer cet anniversaire serait d’établir une commission d’enquête indépendante sur les homicides du Vendredi de la dignité et d’autres graves violations commises en 2011. Cela montrerait leur détermination à ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales sur l’ensemble des graves violations précédentes et à garantir que les victimes reçoivent réparation, même si cela n’a que trop tardé. L’obligation de rendre des comptes est essentielle à la transition du Yémen. »