L’Arabie saoudite doit transcrire en actes ses concessions en matière de droits humains

Il est peu probable que la décision de l’Arabie saoudite d’accepter de nombreuses recommandations pour améliorer son bilan en termes de droits humains lors de son examen devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, le 19 mars, permette de mettre un terme aux graves violations et à la discrimination, ou de rendre justice aux victimes et de leur accorder des réparations, a déclaré Amnesty International. « Tant que les paroles de l’Arabie saoudite ne seront pas suivies par des actes, la mauvaise réputation du royaume s’agissant des violations des droits humains ne risque guère de s’améliorer, a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International. « L’Arabie saoudite doit prouver que le fait d’adhérer à ces recommandations n’est pas un simple exercice de relations publiques destiné à détourner les critiques sur son bilan. » Bien que l’Arabie saoudite ait pleinement accepté la majorité des recommandations qui lui ont été faites durant l’examen de son bilan en termes de droits humains, elle a rejeté des points cruciaux, à savoir la ratification de traités internationaux clés, notamment ceux qui garantiraient les droits des femmes et permettraient aux victimes d’accéder à la justice. En outre, rien n’est actuellement prévu pour permettre aux Groupes de travail des Nations unies, aux rapporteurs spéciaux ou aux organisations indépendantes de défense des droits humains, comme Amnesty International, de se rendre en Arabie saoudite pour rendre compte des violations des droits humains. « Le bilan des droits humains dans le royaume demeure épouvantable. S’il convient de saluer les signes qui montrent que l’Arabie saoudite s’engage à améliorer la situation, les mesures acceptées aujourd’hui ne suffiront pas à mettre un terme à l’incarcération des détracteurs pacifiques ni aux discriminations flagrantes que subissent les femmes et les jeunes filles », a déclaré Said Boumedouha. L’Arabie saoudite a mis en œuvre à maintes reprises des politiques répressives qui musèlent la liberté d’expression, de réunion et d’association, au mépris des critiques émanant de la communauté internationale. Les manifestations et les rassemblements pacifiques sont interdits. De nombreuses personnes ont été emprisonnées uniquement pour avoir publié des messages inoffensifs sur les médias sociaux. L’Arabie saoudite mène également une campagne soutenue d’intimidation et de harcèlement contre les militants locaux des droits humains, dont beaucoup ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison à l’issue de procès inéquitables au cours des derniers mois. Une nouvelle loi antiterroriste formulée en termes vagues, qui confère des pouvoirs étendus aux autorités, suscite des craintes quant à une nouvelle vague de répression contre la dissidence pacifique au nom de la défense de la sécurité nationale. La vaste majorité des recommandations que l’Arabie saoudite a entérinées aujourd’hui au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sont de vagues promesses d’« envisager » des changements, plutôt que des engagements concrets à les mettre en œuvre. L’Arabie saoudite a accepté d’« envisager de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) » — ce qu’elle fait depuis 2009 —, tout en rejetant des recommandations visant à ratifier ce même traité. « Le nombre de recommandations acceptées ne veut rien dire. Sans mesures concrètes débouchant sur des améliorations visibles de la situation sur le terrain, il ne s’agira en fait que d’une tentative éhontée de blanchir son bilan en termes de droits humains, a déclaré Said Boumedouha. « En affirmant leur volonté d’envisager des dispositions en faveur des droits humains, les autorités font des petits pas dans la bonne direction, mais le chemin à parcourir reste long et ardu. » Par ailleurs, les autorités n’ont toujours pas remédié à la discrimination systémique qui prévaut de longue date, notamment contre les femmes et les minorités. Bien qu’ayant accepté une recommandation visant à abolir le régime de la tutelle masculine, elles ont refusé de reconnaître l’existence de cette tutelle et affirmé que les lois en Arabie saoudite garantissent les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Or, de façon générale, les femmes y sont toujours traitées comme des citoyens de seconde zone. Complément d’information Sur 225 recommandations, l’Arabie saoudite en a accepté 145 pleinement, 36 partiellement, s’est abstenu de répondre à six et en a rejeté 38. L’Arabie saoudite a notamment rejeté lors de la session du Conseil des droits de l’homme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Elle a également refusé de lever les réserves émises à l’égard d’autres traités, comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Durcissement de la répression contre les militants des droits humains et la liberté d’expression Depuis début 2013, la plupart des membres fondateurs de l’Association saoudienne pour les droits civils et politiques (ACPRA) ont été emprisonnés en raison de leur travail. Les trois dernières organisations indépendantes de défense des droits humains contraintes de fonctionner sans autorisation ont elles aussi été fermées. Leurs membres comparaissent actuellement en justice. Le 19 mars, Mohammad al Otaibi, fondateur de l’Union pour les droits de l’homme, ONG locale fermée moins d’un mois après sa création en 2013, a été convoqué pour interrogatoire au sujet de ses activités militantes et de ses déclarations aux médias. Le 20 mars, Fowzan al Harbi, membre fondateur de l’ACPRA, comparaîtra une nouvelle fois devant le tribunal ; il encourt une lourde peine de prison pour ses activités pacifiques. Il y a deux semaines, le ministère de l’Intérieur a annoncé que des mesures seraient prises contre les militants qui s’allient à des organisations internationales en vue de nuire à l’intérêt national. Au mois de mars, les autorités saoudiennes ont interdit la présentation de centaines de livres à la Foire internationale du livre de Riyadh, notamment des œuvres du célèbre poète palestinien Mahmood Darwish et des ouvrages sur le droit de conduire des femmes.