Explosions mystérieuses et arrestations discrétionnaires : la vie quotidienne de l’opposition en Azerbaïdjan

Lorsque Natig Adilov a entendu son téléphone sonner à 4h35 du matin ce lundi 3 mars, il a tout de suite su qu’il allait recevoir de mauvaises nouvelles. Le porte-parole du Parti du front populaire d’Azerbaïdjan (PFPA) a reconnu la voix effrayée de deux de ses collègues. Ils lui ont dit qu’ils avaient entendu une explosion au siège du parti à Bakou, la capitale du pays. Lorsque Natig est arrivé sur place dans la matinée, il a vu l’ampleur de la catastrophe. Il a décrit la scène à Amnesty International : « Des nuages de fumée noire s’échappaient du sous-sol : sur la droite du bâtiment, toutes les fenêtres étaient noircies. J’ai vu sur le sol une bonbonne de gaz rouillée et percée. » Selon les pompiers, l’explosion et l’incendie qui a suivi ont été provoqués par l’explosion d’une bonbonne de gaz défectueuse, qui se trouvait dans les locaux d’un coiffeur installé dans le sous-sol du bâtiment. D’après le coiffeur, le magasin n’est pas alimenté en gaz et il n’y avait aucune bonbonne sur les lieux. Les autorités ne reculent devant rien D’après plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, les autorités azerbaïdjanaises ne reculent devant rien pour faire taire les critiques de l’opposition, des militants des droits sociaux et de la presse. Pour Natig, l’explosion du 3 mars n’était pas une coïncidence. « Je n’ai pas été surpris. Dès que j’ai appris la nouvelle au téléphone, j’ai compris ce qui se passait. Dès sa création, notre parti s’est fait attaquer constamment et nous sommes toujours préparés à ce genre d’épisode, » dit-il. Le propriétaire du bâtiment, qui vit en Turquie, a également rapporté qu’un fonctionnaire avait tenté de l’intimider par des menaces visant sa famille et ses biens. Il a secrètement enregistré la conversation, l’a confiée aux médias le lendemain de l’explosion et l’a diffusée en ligne. Le bâtiment lui appartient depuis des années, mais il précise que les menaces n’ont commencé qu’en 2012, lorsqu’il a loué les locaux à un autre parti d’opposition. Elles sont devenues bien plus inquiétantes après le 12 octobre 2013, le jour où le PFPA a emménagé. L’explosion survenue au siège du PFPA s’inscrit à la suite d’une série d’événements qui ont gêné leur action. « Nos membres sont harcelés tous les jours. Certains ont perdu leur emploi, d’autres leur entreprise et d’autres ont été arrêtés. Je suis membre du parti depuis 1996, et je crois qu’il ne s’est pas passé une année sans qu’au moins un de nos membres soit emprisonné. Nos antennes régionales doivent fonctionner à partir des domiciles de nos membres, et même cela ne les empêche pas d’être harcelés », nous a expliqué Natig. Rien qu’au cours des deux dernières semaines, six militants du parti ont été arrêtés pour « résistance aux ordres de la police. » Tofig Dadachov, 18 ans, est l’un d’entre eux. Son arrestation a eu lieu le 22 février. Ce jour-là, des policiers en civil ont fouillé sa maison et saisi son ordinateur. Tofig a ensuite été conduit au poste de police de Binagadi, où il dit avoir été détenu pendant deux jours sans eau et sans nourriture. À compter du 24 février, il a purgé une peine de 10 jours d’emprisonnement pour avoir « désobéi aux ordres de la police ». Sa famille pense qu’il a été arrêté pour avoir appelé à manifester contre le maire de Bakou sur sa page Facebook. Le 27 février, Tazakhan Miaralamli, le président de la section de Jalilabad du PFPA, a été arrêté alors qu’il quittait son domicile. Selon les informations reçues, un agent de police aurait entendu Tazakhan parler au téléphone, aurait trouvé son comportement « suspect » et l’aurait placé en détention sans tarder. Il doit purger une peine de 15 jours d’emprisonnement, pour avoir lui aussi « désobéi aux ordres de la police ». Par ailleurs, Tazakhan était en train d’organiser une manifestation. Mais ces arrestations et opérations clandestines qui visent à ralentir l’action du parti n’ont en rien entamé sa popularité. Celle-ci, selon Natig, grandit très rapidement, en particulier auprès des jeunes. « Malgré tous les problèmes qui nous accablent, nous continuons d’agir. Nous pensons que c’est notre devoir d’être au cœur de la lutte pour une transition pacifique vers la démocratie. Nous avons foi en nos idées, et c’est ce qui préserve notre détermination, » a déclaré Natig.