Un militant tibétain parle de l’augmentation alarmante du nombre de personnes qui s’immolent par le feu en Chine

Au moins 75 Tibétains, y compris des moines et des nonnes bouddhistes, se sont immolés par le feu en 2012. Beaucoup hurlaient pour le retour du dalaï-lama et pour la liberté des Tibétains tandis qu’ils brûlaient et certains ont lancé les mêmes appels par écrit. Le nombre de personnes qui s’immolent par le feu dans les régions de Chine où la population est majoritairement tibétaine, en particulier dans la région autonome du Tibet et dans les provinces voisines, monte en flèche. Rien qu’au mois de novembre, 24 personnes se sont suicidées ainsi. Au total, depuis 2009, 88 Tibétains se sont immolés par le feu, et ce chiffre augmente désormais chaque jour. Bobpa Tsang (pseudonyme) est un militant tibétain qui vit maintenant à Londres. Il a fait part à Amnesty International de son respect pour ces manifestants tibétains qui se sacrifient. « Si nous mettons un terme à ces immolations, ce sera comme jeter de l’eau par terre. Comme si cela n’avait été que du gâchis. Nous devons continuer jusqu’à ce que nous obtenions un résultat », a-t-il déclaré. « Je ne vais pas m’immoler, mais je pense quand même que ces gens sont courageux. J’ai du respect pour eux mais nous ne pouvons pas mettre un terme à cela, même si nous le voulions. » En 1996, Bobpa Tsang a quitté la préfecture de Rebkong, dans le sud de la province du Qinghai, où il vivait et où ont eu lieu nombre des récentes immolations par le feu. « Je ne suis pas retourné au Tibet depuis 16 ans. Nous ne comprenons pas ce que ressentent les Tibétains au Tibet. Ils subissent une telle pression de la part du gouvernement chinois. Qui renoncerait à la vie, sinon ? Personne n’a envie de se faire brûler. Pourquoi une mère voudrait-elle abandonner son bébé, ses fils et ses filles ? Tout le monde veut vivre heureux. Pourquoi ils se tueraient ? Ils appartiennent tous à la jeune génération. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’ils délivrent tous le même message. » Ces derniers jours, plus d’un millier d’étudiants tibétains ont manifesté contre un livret publié par le gouvernement, dans lequel les nombreuses immolations par le feu qui ont eu lieu récemment sont qualifiées d’« actes de stupidité » et l’étude de la langue tibétaine est considérée comme « hors sujet ». Des affrontements entre les étudiants et des policiers armés ont éclaté. Le livret, intitulé Dix façons de voir la situation actuelle dans la préfecture de Tsolho, a rendu furieux les étudiants en médecine de Tsolho (ou Hainan en chinois), une préfecture de la province du Qinghai, lorsqu’il a été distribué dans les établissements scolaires de la région. Les étudiants réclamaient une enquête sur la création du livret et appelaient à plus d’égalité. Il semble que la police ait battu des manifestants après avoir pris le contrôle de l’établissement où avait lieu la manifestation. Vingt étudiants ont dû être transportés à l’hôpital. Le même jour, en solidarité, une grève de la faim à laquelle ont participé de nombreux intellectuels et responsables communautaires a eu lieu au Tibet et en Chine, notamment à Lhassa et à Rebkong. Les grévistes appelaient également à cesser les immolations. Plus de 60 Tibétains de tous horizons ont pris part simultanément à cette manifestation de solidarité. D’après les médias locaux, le 14 novembre, les autorités chinoises de la région de Malho, dans l’est du Tibet, auraient annoncé une série de mesures strictes visant la vague actuelle de suicides par le feu. Des responsables locaux auraient reçu l’ordre de sanctionner les personnes qui s’immolent par le feu, leurs familles et même les personnes qui présentent leurs condoléances et offrent leurs prières aux membres de la famille. Selon certaines informations, ces sanctions se traduiraient notamment par l’annulation d’aides gouvernementales versées aux familles de personnes qui se sont immolées, ainsi que d’aides publiques accordées à de nombreux projets d’aménagements dans de petits villages où ces drames ont eu lieu. Bobpa Tsang affirme que les mouvements de protestation ont débuté en 2009, en réaction à la vague de répression qui a balayé le pays après les manifestations menées dans la région en mars 2008 et les Jeux olympiques en août la même année. « Après les Jeux olympiques, le monde a cessé d’avoir les yeux braqués sur le Tibet et la Chine a lancé une répression violente contre le peuple tibétain. « Les autorités ont emprisonné des enseignants, des étudiants, des poètes, des moines, des nonnes et des écologistes qu’elles considéraient comme des menaces. Des entrepreneurs tibétains ont été accusés de soutenir les mouvements tibétains en faveur de la liberté, des millions d’euros leur ont été confisqués et ils ont été emprisonnés à perpétuité. « Les autorités ont commencé à détruire la langue tibétaine et le mode de vie traditionnel en confisquant les terres et le bétail et en forçant les gens à s’installer des logements neufs. « Pendant les manifestations de masse qui ont eu lieu dans tout le Tibet en 2008, les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur la foule, tuant de nombreux innocents. « C’est pour cela que des gens ont commencé à se mettre le feu en 2009 et ça s’est répandu dans tout le Tibet. » Le 7 novembre, Tamdrin Tso, 23 ans, mère d’un petit garçon de six ans, s’est immolée par le feu et est décédée dans le centre de Drorong Po, un village de la municipalité de Dowa, dans le canton de Rebkong (Tongren en chinois). Selon des sources tibétaines en exil, des Tibétains vivant sur place auraient vu Tamdrin Tso prier pour ceux qui s’étaient immolés : « Elle récitait le mantra mani [un mantra associé au dalaï-lama] et prononçait des vœux de jeûne complet. Elle priait et elle offrait des lampes à beurre dans le monastère. Les habitants disaient que même si Tamdrin Tso faisait tout cela, à la fin elle n’a quand même pas pu supporter. Et elle s’est mis le feu. » Dans une lettre conjointe adressée au président chinois Hu Jintao le 3 novembre 2011, Amnesty International et Human Rights Watch appelaient le gouvernement à évaluer la situation des droits humains sur le plateau tibétain et à se pencher sur les causes sous-jacentes qui amènent des Tibétains à s’immoler par le feu. Les deux organisations appelaient le gouvernement à mettre un terme aux politiques qui empiètent sur les libertés fondamentales et les droits humains des Tibétains, notamment les libertés d’expression et de religion, et à la présence massive des forces de sécurité dans les régions de Chine où la population est majoritairement d’origine tibétaine. Bobpa Tsang pense que les Tibétains vont continuer de s’immoler en signe de protestation, jusqu’à ce que « la Chine se demande pourquoi les Tibétains s’immolent et propose une solution pour répondre à leurs revendications. Alors, les Tibétains arrêteront. Si la Chine poursuit sa répression violente contre les Tibétains, les immolations continueront aussi. » Mais il ne sait pas quoi dire aux autres Tibétains qui envisagent de s’immoler par le feu. « C’est difficile de leur envoyer un message. À mon avis je ne peux pas dire “Oh, vous devez vous immoler”. Et je ne veux pas non plus dire “il faut que les immolations cessent”. Cela dépend entièrement de la Chine et de sa politique sur le Tibet. Alors je ne sais pas quoi leur dire. À chaque fois que j’entends qu’il y a eu une immolation au Tibet, peu importe d’où viennent ces gens ou si ce sont mes amis, je me sens impuissant, comme si je n’avais pas de mains. »