Nigeria. Les forces de sécurité hors de contrôle dans la lutte contre le groupe Boko Haram

(Abuja) Les actions brutales des forces de sécurité nigérianes en réponse aux actes de terrorisme perpétrés par Boko Haram ne font que rendre la situation encore plus désespérée,  écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 1er novembre. Ce rapport, intitulé Nigeria: Trapped in the cycle of violence, décrit à la fois les horreurs perpétrées par Boko Haram et les graves violations des droits humains commises, en réaction, par les forces de sécurité. Il est notamment question de disparitions forcées, de torture, d’exécutions extrajudiciaires, d’incendies volontaires de maisons et de détentions sans procès. « Ce cycle d’attaques et de contre-attaques est marqué par des violences illégales de la part des deux camps, avec des effets dévastateurs pour les droits fondamentaux des personnes piégées au milieu », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International. « Des personnes vivent dans un climat de peur et d’insécurité, vulnérables aux attaques de Boko Haram et exposées à des violations des droits humains de la part des forces de sécurité nationales qui devraient au contraire les protéger. » De graves atteintes aux droits humains ont été perpétrées par Boko Haram, qui a notamment commis des meurtres, incendié des écoles et des églises, mené des attaques contre les locaux de médias et s’en est pris à des journalistes. Le rapport décrit le climat de peur grandissante : la population est trop effrayée pour signaler les crimes et les journalistes n’en parlent pas, craignant pour leur propre sécurité. Dans le même temps, les opérations de sécurité visant Boko Haram sont conduites sans égard pour les droits humains ou l’état de droit. Des centaines de personnes accusées d’avoir des liens avec Boko Haram sont arrêtées de façon arbitraire lors d’opérations menées par la Force d’intervention conjointe (un groupe qui rassemble des membres de différents services de forces de sécurité, mis en place par le président nigérian pour restaurer l’ordre dans les zones où Boko Haram est présent), le Service de sécurité de l’État et la police. De nombreuses personnes sont maintenues en détention pour de longues périodes sans inculpation ni jugement, sans être déférées à une autorité judiciaire et sans la possibilité de consulter un avocat ou d’avoir des contacts avec le monde extérieur. Leurs familles ne sont, en outre, pas correctement averties. Les autorités procèdent à un grand nombre d’exécutions extrajudiciaires. Un homme a expliqué à Amnesty International que son frère avait été arrêté par les forces de sécurité. Après plusieurs tentatives pour le retrouver, il a finalement vu son cadavre dans un poste de police. « Il y avait [ce qui ressemblait à] des marques de câbles sur son corps, il avait des bleus partout… Le côté droit de sa tête était couvert de contusions. Il avait un air choqué sur le visage. Je ne peux pas l’oublier… Je n’ai pas porté plainte. J’ai peur. » « Le gouvernement du Nigeria doit prendre des mesures efficaces pour protéger la population contre la campagne menée par Boko Haram pour faire régner la terreur dans le nord et le centre du pays, mais ces mesures doivent rester dans les limites des règles de l’état de droit. Chaque injustice perpétrée au nom de la sécurité ne fait qu’engendrer plus de terrorisme et crée un cercle vicieux de meurtre et de destruction », a déclaré Salil Shetty. « Ce n’est qu’en faisant toute la lumière sur les faits, en instaurant une obligation de rendre des comptes pour les atteintes commises et en traduisant en justice les responsables que la confiance dans le système judiciaire pourra être restaurée et les droits humains garantis. » Note aux rédacteurs : Entre février et juillet 2012, une délégation d’Amnesty International s’est rendue dans les États de Kano et de Borno, ainsi que sur le territoire de la capitale fédérale. Les chercheurs ont interrogé des victimes d’attaques, des proches de personnes qui ont été tuées, arrêtées ou placées en détention, ainsi que des personnes dont les maisons ont été brûlées. Ils ont également rencontré des ministres occupant des postes clés au sein du gouvernement, des représentants des forces de sécurité, des juges, des enseignants, des journalistes et des avocats. Malgré leur demande, les chercheurs n’ont pas pu visiter de prison, de poste de police, ni de centre de détention militaire ou dépendant du service de sécurité de l’État.