Le Kazakhstan ne doit pas museler les médias

Les autorités kazakhes ne doivent pas se servir de l’« extrémisme » comme prétexte pour museler la liberté de la presse, a déclaré Amnesty International jeudi 22 novembre, alors que le bureau du procureur général tente de faire fermer une quarantaine de médias et sites Internet de l’opposition.

Le 21 novembre, le procureur de la ville d’Almaty a déposé plainte dans le but de faire fermer presque tous les médias indépendants ou de l’opposition encore en activité. Il les accuse d’être « extrémistes », d’inciter à la discorde sociale et de menacer la sécurité nationale.

Amnesty International fait écho aux préoccupations de 15 organisations de défense des droits humains basées au Kazakhstan qui ont condamné cette initiative. Il s’agit de l’aboutissement de la politique menée par les autorités en vue de restreindre les médias indépendants dans ce pays d’Asie centrale.

« Les dernières voix indépendantes au Kazakhstan risquent réellement d’être étouffées à jamais, si le tribunal donne droit à cette requête », a mis en garde David Díaz-Jogeix, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

La plainte déposée par le parquet concerne huit médias de la presse écrite et 23 sites Internet, qui appartiennent à un seul grand groupe de médias, ainsi qu’un autre journal et ses versions électroniques, et deux chaînes de télévision indépendantes diffusées sur Internet. Il demande également que le parti d’opposition non enregistré Alga et le mouvement social non reconnu Khalyk Maydany soient classés comme «extrémistes ».

Une répression qui fait suite à de violents affrontements
Le 19 novembre, une cour d’appel de la région de Mangistau, dans le sud-ouest du pays, a confirmé la peine d’emprisonnement de Vladimir Kozlov, dirigeant d’Alga, l’un des partis d’opposition non reconnus par les autorités. Il avait déjà été inculpé d’incitation à des manifestations violentes lors de la grève des travailleurs de l’industrie pétrolière en décembre 2011.

Le 16 décembre 2011, la célébration du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan a dégénéré en violents affrontements entre manifestants et policiers à Janaozen, ville du sud-ouest du pays, constituant les pires violences que le pays ait connues récemment.

Au moins 15 personnes ont été tuées et plus de 100 grièvement blessées. Ces violences ont fait suite à des mois de grève menée par les travailleurs du pétrole dans la région de Mangistau, en raison de désaccords concernant les droits syndicaux, les salaires et les conditions de travail.

Lors des procès qui ont suivi en 2012, cinq hauts responsables des forces de sécurité ont été déclarés coupables d’abus de pouvoir et condamnés à cinq ans de prison pour avoir autorisé l’usage de la force excessive et meurtrière afin de disperser la foule des manifestants, ou y avoir recouru.

En mai 2012, sept syndicalistes et manifestants ont été condamnés par le tribunal régional de Mangistau à des peines allant jusqu’à sept ans de prison, pour avoir organisé les manifestations de Janaozen ou y avoir pris part. Tous les accusés ont clamé leur innocence et affirmé que leurs « aveux » leur avaient été arrachés sous la torture.

Au mois de mars, Amnesty International a fait part de ses préoccupations face aux dispositions prises contre les militants syndicaux et politiques de l’opposition, en vue de les sanctionner pénalement, parce qu’ils s’étaient rendus à l’étranger pour informer les organisations gouvernementales internationales et les gouvernements étrangers des grèves et des violences dont Janaozen avait été le théâtre. En effet, de nouvelles lois relatives à la sécurité, entrées en vigueur le 6 janvier 2012, érigent en infraction pénale le fait de « nuire à l’image du Kazakhstan à l’étranger ».

D’autres personnes, qui ont diffusé des tracts et fait connaître les revendications des travailleurs en grève à l’intérieur du Kazakhstan risquaient elles aussi d’être considérées comme pénalement responsables. Une disposition de la loi relative à la sécurité prévoit des sanctions contre les personnes qui « influencent la conscience collective et individuelle » en diffusant des informations « dénaturées » et « douteuses », « au détriment de la sûreté de la nation ».

Des mesures d’intimidation qui ciblent les professionnels des médias
Des travailleurs des médias kazakhs et leurs proches ont été pris pour cibles dans des affaires judiciaires et des affaires de harcèlement.

Dans son jugement rendu le 8 octobre contre Vladimir Kozlov, le tribunal de première instance a qualifié plusieurs médias de l’opposition qui avaient couvert les grèves de 2011 et les enquêtes menées sur les violences de Janaozen, dont l’hebdomadaire Golos Respubliki, d’« extrémistes politiques » qui incitent à la « haine sociale ».

Aux termes du droit kazakh, l’« extrémisme politique » est une infraction pénale qui plonge ses racines dans l’époque soviétique et est passible d’une peine de prison maximale de sept années.

Quelques semaines après le jugement contre Vladimir Kozlov, le 31 octobre, Askar Moldachev, le frère de Daniyar Moldachev – rédacteur en chef et propriétaire de Golos Respubliki –, a été arrêté pour infractions liées aux stupéfiants. Amnesty International est convaincue que ces accusations ont été forgées de toutes pièces.

Askar Moldachev a tout d’abord été détenu sans pouvoir communiquer avec sa famille ni consulter un avocat, et a dû être hospitalisé au cours de sa détention. Le 2 novembre, le tribunal de district de Bostandyk a autorisé son placement en détention provisoire pour une durée de deux mois et a demandé l’ouverture d’une enquête sur ses allégations d’atteintes aux droits humains durant son interpellation et sa détention au mois d’octobre.

D’après Golos Respubliki, son directeur Daniyar Moldachev, frère d’Askar, a lui aussi fait l’objet d’une persécution politique par le passé et a été contraint de se cacher à l’étranger pendant quelques mois en 2012, afin de bénéficier de traitements médicaux.

« Ces manœuvres de harcèlement contre les professionnels des médias et leurs proches constituent un grave outrage à la liberté d’expression au Kazakhstan. Les autorités doivent y remédier, a estimé David Díaz-Jogeix.

« Elles doivent protéger le droit à la liberté d’expression – y compris à la liberté de la presse – et veiller à ce que les professionnels des médias puissent mener à bien leur travail sans craindre d’être, eux-mêmes ou leurs proches, la cible de représailles ou de campagnes de dénigrement. »