Bahreïn. Sur fond de promesses de réforme non tenues, la répression se durcit

Bahreïn est confronté à un dilemme et doit choisir entre maintenir l’état de droit ou s’engouffrer dans la spirale de la répression et de l’instabilité, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse publiée mercredi 21 novembre. Ce document intitulé Bahrain: reform shelved, repression unleashed est rendu public quelques jours avant le 1er anniversaire de la diffusion du rapport historique de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn (BICI), mise sur pied par les autorités bahreïnites pour enquêter sur les atteintes aux droits humains commises durant les manifestations antigouvernementales de 2011. Dans son rapport, la BICI a déclaré le gouvernement responsable de violations flagrantes des droits humains et a recensé de très nombreux cas de violences. Elle a fait une série de recommandations et a notamment préconisé l’ouverture d’enquêtes indépendantes sur les allégations de torture et autres mauvais traitements, et la comparution en justice des responsables présumés. Après la publication du rapport de la BICI en novembre 2011, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre ces recommandations. Cependant, comme le révèle clairement la synthèse d’Amnesty International, au lieu de tenir son engagement, il a rapidement opté pour un durcissement de la répression, qui a culminé au mois d’octobre avec l’interdiction de tout rassemblement dans le pays, en violation du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et au mois de novembre avec la déchéance de la nationalité bahreïnite de 31 figures de l’opposition. « L’ampleur et la nature des violations perpétrées à Bahreïn depuis que la BICI a fait ses recommandations tournent en dérision le processus de réforme, a estimé Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International. « Comme le dénonce Amnesty International dans son rapport, les autorités sont revenues sur leurs promesses de poursuivre sur la voie du changement. Le gouvernement a beau affirmer qu’il veut renforcer l’état de droit et améliorer la situation des droits humains, ces déclarations sonnent creux au regard du processus de réforme moribond. « En effet, il ne fait plus aucun doute que les autorités de Bahreïn n’ont pas la volonté de mettre en œuvre ce processus. Les manifestations ne font que mettre en lumière le fossé entre leurs discours et la réalité. « Alors que le pays s’enlise dans des troubles et une instabilité qui menacent de durer, la communauté internationale, et particulièrement les alliés de Bahreïn, ont le devoir de condamner ce qui se passe dans le pays et de ne plus se cacher derrière le rapport de la BICI pour éviter d’avoir à critiquer les autorités. » La création de la BICI, composée de juristes internationaux spécialistes entre autres des droits humains, a été considérée comme une avancée majeure, mais force est de constater qu’un an après, elle est mise au rencart. Pour les victimes et leurs familles, justice et réparations demeurent des mirages. L’une de ces victimes, Roula Jassim Mohammed al Saffar, comptait parmi les professionnels de la santé condamnés par un tribunal militaire à des peines allant de cinq à 15 ans d’emprisonnement en septembre 2011. Elle a fait appel de cette décision et a été acquittée par un tribunal civil. Après son arrestation le 4 avril 2011, elle affirme avoir été torturée en détention. Amnesty International l’a rencontrée à Bahreïn alors qu’elle était en liberté sous caution ; elle a raconté ce qu’elle avait subi durant son interrogatoire aux mains du Département des enquêtes criminelles. « Une femme policier est entrée dans la pièce et m’a dit : ” Je vais te bander les yeux et m’occuper de toi maintenant. ” Puis trois hommes l’ont rejointe et ont commencé à me frapper… Elle avait un appareil électrique dans chaque main et m’a frappée de chaque côté du visage en même temps. J’ai eu un vertige, j’ai perdu connaissance. Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé juste après. Puis ils m’ont emmenée dans une autre pièce et l’un d’entre eux m’a traitée de prostituée et a insulté ma famille… Le troisième jour, elle m’a de nouveau infligé des décharges électriques et m’a demandé si j’avais participé à la grève. Une autre femme s’est mise à me gifler. Elle m’a coupé les cheveux avec des ciseaux. Puis ils ont brûlé mes cheveux sur les côtés. Ils m’ont battue et m’ont harcelée sexuellement en me tripotant tout le corps… Cela a duré quatre ou cinq jours. » Depuis, Amnesty International continue de recueillir des informations crédibles faisant état de violations généralisées commises par les forces de sécurité, notamment le recours à une force injustifiée et excessive contre les manifestants, parfois fatale. Hussam al Haddad, 16 ans, est mort le 17 août 2012 à al Muharraq, après s’être fait tirer dessus par la police antiémeutes. Selon sa famille, il s’était rendu dans un café proche du quartier où avaient lieu des manifestations. D’après un proche qui était présent sur les lieux, alors qu’Hussam al Haddad était blessé, à terre, un policier antiémeutes lui a asséné des coups de crosse et des coups de pied. Hussam al Haddad a été transporté à l’hôpital militaire, puis au centre médical de Salmaniya. Sa famille a été informée de sa mort vers 2 heures cette nuit-là. Le 9 octobre, L’unité spéciale d’enquête a établi que le policier qui lui avait tiré dessus avait agi en état de légitime défense après avoir été agressé. L’affaire a été classée. Depuis le début de l’année 2012, dans un nombre croissant de rassemblements, les participants auraient lancé des cocktails Molotov et bloqué les routes. Selon le gouvernement, deux policiers sont morts ces dernières semaines après avoir été agressés lors d’émeutes. Ces attaques violentes ne sont pas des formes d’expression protégées par le droit international relatif aux droits humains, et les auteurs présumés peuvent être traduits en justice dans le respect des normes d’équité et d’une procédure légale. Cependant, l’usage de la violence n’exonère pas les autorités de leurs obligations en matière de respect des droits fondamentaux. Amnesty International a appelé à maintes reprises les autorités bahreïnites à ne pas utiliser une force excessive contre les manifestants. Elle considère que le respect des droits humains doit toujours sous-tendre les opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations. Depuis quelques mois, un nombre croissant de mineurs âgés de 15 à 18 ans sont détenus dans des prisons et des centres de détention pour adultes à Bahreïn. D’après les avocats et les militants locaux en faveur des droits humains, ils seraient environ 80. Les défenseurs des droits humains et les militants qui dénoncent ces violations font l’objet de harcèlement répété ; certains ont été emprisonnés pour avoir exercé pacifiquement leurs activités et leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Par ailleurs, le 7 novembre, les autorités ont pris une mesure effrayante : elles ont déchu de leur nationalité bahreïnite 31 figures de l’opposition. Selon une déclaration du ministère de l’Intérieur, ces personnes, parmi lesquelles des militants et des personnalités politiques et religieuses, ont été privées de leur nationalité au motif qu’elles avaient « porté atteinte à la sécurité de l’État ». Bahreïn risque de glisser vers des troubles et une instabilité de longue durée et se trouve à un carrefour. Le rapport de la BICI fournit une feuille de route pour guider le pays sur la voie de l’état de droit. Seule la mise en œuvre suivie des recommandations qui y figurent permettra d’enrayer la descente. Les proches alliés de Bahreïn, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, ne peuvent plus s’abriter derrière la BICI et fermer les yeux.