Deux ou trois choses à savoir sur l’Équateur, au-delà du cas Assange

Par Guadalupe Marengo, directrice adjointe du programme Amériques d’Amnesty International Ce billet d’opinion a été publié à l’origine par le Huffington Post En se réfugiant à l’ambassade d’Équateur à Londres, courant juin, Julian Assange a fait un geste spectaculaire : le fondateur de Wikileaks demandait l’asile pour échapper à son extradition imminente en Suède, pays où il fait l’objet de plaintes pour viol et agression sexuelle.   Le lieu choisi par Julian Assange pour y trouver refuge a dû susciter la curiosité de bien des Européens, qui ont peut-être cherché dans un atlas l’emplacement exact de ce pays d’Amérique du Sud.   Celles et ceux qui suivent l’évolution des pays d’Amérique, et en particulier la situation des droits humains, savent que l’Équateur n’est pas vraiment un lieu sûr, surtout pour les personnes socialement marginalisées.   Situé à l’ouest de l’Amérique du Sud, doté de longues côtes qui bordent l’océan Pacifique, il a une population de 14,6 millions et une superficie de 272 045 km2. Les produits exportés sont le pétrole, les bananes, les crevettes, le café, le cacao, les fleurs coupées, le poisson. Le revenu national brutest de 3 850 dollars des États-Unis (contre 38 370 dollars des États-Unis au Royaume-Uni).   Peut-être ces données vous sont-elles déjà familières ; cependant, comme le montre le rapport d’Amnesty International publié le 17 juillet, la réalité équatorienne est loin de se limiter à la fuite d’Assange.   Le pétrole brut, dont l’Équateur est le cinquième producteur en Amérique latine, constitue pour ce pays une source de revenus importante. L’industrie a décollé dans les années 1970 et 1980. Aujourd’hui, les recettes du pétrole représentent un quart du produit national brut de l’Équateur et 40 % du budget de l’État.   Les gouvernements qui se sont succédé, y compris le gouvernement actuel du président Rafael Correa, ont eu conscience de l’importance des ressources naturelles. Mais leur exploitation a entraîné un conflit sur la question du contrôle de la terre et des ressources. Des propositions récentes visant à exploiter à grande échelle les gisements du pays ont ranimé plusieurs de ces conflits.   Imaginez que les autorités de votre pays vous annoncent, sans consultation préalable, que des forages pétroliers vont avoir lieu dans le jardin de la maison où votre famille vit depuis des siècles.   C’est exactement ce qui s’est passé pour la communauté indigène sarayaku.   Les membres de cette communauté ont appris que le gouvernement avait l’intention de procéder à des forages sur leur territoire au début de ce siècle, lorsqu’ils ont entendu des hélicoptères chargés de matériel atterrir sur leurs terres. À ce jour, 1,4 tonnes d’explosifs sont toujours enfouies dans les terres sarayakus.   Dix ans se sont écoulés, et les autorités équatoriennes ne consultent toujours pas les habitants avant de décider d’exploiter des ressources naturelles. Il n’est donc pas étonnant que les tensions se soient exacerbées au cours des années récentes, que des manifestations aient éclaté et que la répression ait répondu à ces mouvements de protestation.   Les richesses minières et le pétrole sont peut-être vitales pour l’Équateur, mais le développement économique ne peut être recherché aux dépens des droits humains.   Même s’il est possible de soutenir que l’industrie extractive profite aux communautés locales, il n’en est pas moins indispensable de veiller, lorsque des décisions sont prises, à respecter le droit des populations à être consultées. Et cette consultation doit être menée de bonne foi, et non après que des décisions importantes sur un projet de développement ont été prises au sein du gouvernement.   Comme le montre notre rapport, le gouvernement de l’Équateur a répondu aux plaintes des responsables indigènes et paysans sur l’absence de consultation en arrêtant les manifestants sans raison légitime, en lançant contre eux des accusations sans fondement, en leur imposant des conditions strictes de libération sous caution, ces actes constituant vraisemblablement une stratégie destinée à les empêcher de s’exprimer.   Notre rapport ‘So that no one can demand anything – Criminalizing the right to protest in Ecuador?’ s’intéresse au cas de 24 responsables qui se sont vu imputer au total 20 actes de terrorisme, 10 de sabotage, quatre barrages routiers illégaux, et un homicide, tous ces faits étant en rapport avec les manifestations de 2009 et 2010.   Bien souvent, les arrestations et inculpations n’ont pas eu l’aval des juges, qui les ont estimées sans fondement. Sur les 24 hommes, huit font encore l’objet d’une enquête, d’une procédure ou de conditions de libération restrictives.   Même si aucun d’entre eux n’est aujourd’hui emprisonné, le fait qu’ils aient été pris pour cibles évoque un système peu rassurant, qui a pour effet d’inciter des communautés entières à réfléchir à deux fois avant d’exprimer des préoccupations légitimes au sujet de mesures qui les concernent.   Au lieu de nouer un dialogue constructif et de consulter dans les règles les communautés dont le mode de vie subira le contrecoup des lois et politiques mises en place par le gouvernement, les autorités utilisent tout l’arsenal dont elles disposent pour décourager les populations d’exprimer d’éventuelles critiques.   Un exemple frappant est celui des dirigeants indigènes Marlon Santi et Delfin Tenesaca, accusés de terrorisme en juin 2010 après avoir participé à une manifestation dans le contexte du sommet de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique.   Une enquête a été ouverte. Selon certaines informations, le seul élément mettant en cause les militants était la perte d’une paire de menottes, signalée par un policier.   Le président Correa a le droit et le devoir d’assurer l’ordre public dans son pays et de proposer des projets de développement. Cependant, l’utilisation de l’appareil judiciaire pour dissuader les populations d’exprimer leur désaccord n’est pas une solution. De plus, si les autorités continuent à mettre en œuvre des changements sans consulter de façon appropriée les personnes concernées, l’Équateur risque de s’engager dans un cycle de conflits sociaux permanents.   Julian Assange estime visiblement que l’Équateur est un refuge sûr mais, pour bon nombre des hommes et des femmes qui vivent sur cette terre et la considèrent comme la leur, la justice reste une réalité lointaine. J’espère que tous ceux dont l’attention a été brièvement attirée sur ce pays parviendront à s’y intéresser assez longtemps pour voir la totalité du tableau.