Libye. Les pertes civiles induites par les frappes aériennes de l’OTAN doivent faire l’objet d’enquêtes appropriées

Jusqu’à présent, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) n’a pas enquêté sur les nombreuses pertes civiles causées par les frappes aériennes lancées par ses forces en Libye, écrit Amnesty International lundi 19 mars dans une nouvelle synthèse publiée un an après le déroulement des premières frappes.Dans ce document intitulé Libye. Les victimes oubliées des frappes de l’OTAN, l’organisation explique que de très nombreux civils libyens qui n’étaient pas impliqués dans les combats ont été tués et beaucoup d’autres blessés, pour la plupart chez eux, par les frappes aériennes de l’OTAN. Elle ajoute que l’OTAN n’a pas mené les investigations nécessaires, ni même tenté d’entrer en contact avec les survivants et les familles des victimes. L’organisation estime qu’il convient de mener des enquêtes dignes de ce nom et d’accorder aux victimes et à leurs familles des réparations pleines et entières. « Il est profondément décevant que plus de quatre mois après la fin de l’opération militaire, les victimes qui ont survécu et les familles des personnes tuées par les frappes aériennes de l’OTAN ne sachent toujours pas ce qui s’est passé ni qui était responsable, a estimé Donatella Rovera, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International. « Les dirigeants de l’OTAN ont mis en avant à plusieurs reprises leur détermination à protéger les civils. Ils ne sauraient aujourd’hui balayer d’un revers de main la mort de nombreux civils en se contentant de vagues déclarations de regret, sans enquêter dûment sur ces funestes événements. » Il semble que l’OTAN a déployé des efforts appuyés afin de réduire le risque de pertes civiles, notamment en utilisant des munitions à guidage de précision et, parfois, en avertissant au préalable les habitants des zones visées. Toutefois, cela ne décharge pas l’OTAN d’enquêter sur les frappes qui ont blessé et tué de nombreux civils et d’octroyer des réparations aux victimes et à leurs familles. Les enquêtes doivent déterminer si les pertes en vies humaines au sein de la population civile sont la conséquence de violations du droit international et, le cas échéant, les responsables présumés doivent être déférés à la justice. Amnesty International a recensé 55 civils identifiés, dont 16 enfants et 14 femmes, tués dans le cadre de frappes aériennes à Tripoli, Zlitan, Majer, Syrte et Brega. Nombre de ces pertes sont dues à des frappes aériennes lancées contre des logements privés, où Amnesty International, pas plus que d’autres, n’a découvert d’éléments prouvant qu’ils étaient utilisés à des fins militaires au moment de l’attaque. Dans la soirée du 8 août 2011, deux maisons appartenant aux familles Gafez et al Jaarud ont été touchées à Majer, à l’ouest de Misratah. Selon des membres de la famille qui ont survécu à cette attaque, 34 civils, dont huit enfants et huit femmes, ont été tués et plusieurs ont été blessés lors de trois frappes distinctes. D’après la famille, aucune personne n’était présente ni aucune activité engagée près de leur domicile qui pourrait expliquer ces attaques. Dans sa dernière réponse adressée à Amnesty International le 13 mars, l’OTAN a affirmé qu’il « regrette vivement tous les dommages qui ont pu être induits par ces frappes aériennes », mais « n’a pas reçu de mandat pour mener une action en Libye lorsque l’opération Unified Protector s’est achevée le 31 octobre 2011 », et que la « responsabilité première » de conduire des enquêtes revient aux autorités libyennes. « La réponse de l’OTAN équivaut à un refus d’assumer la responsabilité de ses actes. Elle donne aux victimes et à leurs familles le sentiment qu’elles ne sont pas prises en compte et n’ont aucunement accès à la justice », a déploré Donatella Rovera. En outre, l’OTAN n’a pas pris de mesures afin d’enquêter sur les informations faisant état de victimes parmi la population civile causées par ses frappes dans des zones qui étaient passées sous contrôle des nouvelles autorités libyennes (le Conseil national de transition) avant le 31 octobre 2011, et étaient donc accessibles de manière sûre. Tous les survivants et les proches des victimes tuées lors des frappes de l’OTAN qu’Amnesty International a interviewés ont assuré qu’ils n’avaient jamais été contactés par l’OTAN ni par le Conseil national de transition libyen. L’OTAN doit veiller à ce que des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies soient menées dans les meilleurs délais sur toutes les allégations de graves violations du droit international imputables aux participants de l’opération Unified Protector et à ce que leurs conclusions soient rendues publiques. Lorsqu’il existe suffisamment de preuves recevables, les suspects doivent être poursuivis. Complément d’information Selon l’OTAN, la campagne militaire aérienne et maritime qui a duré sept mois en Libye a englobé plus de 9 700 frappes et détruit plus de 5 900 cibles militaires. Dans le cadre de ses opérations militaires, l’OTAN était tenu de respecter les règles du droit international humanitaire applicables dans les conflits armés et, plus particulièrement, dans le cas de sa campagne aérienne, prendre toutes les précautions en vue d’éviter, ou tout au moins de réduire au minimum, les dommages causés aux civils, notamment : • faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires ; • sélectionner le type d’armes et la méthode d’attaque en vue de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile et les dommages aux biens de caractère civil ; • évaluer la proportionnalité de l’attaque prévue ; annuler ou suspendre une attaque lorsqu’il s’avère qu’elle n’est pas dirigée sur la bonne cible ou qu’elle est disproportionnée ; et • donner un avertissement en temps utile dans le cas d’attaques pouvant affecter la population civile, à moins que les circonstances ne le permettent pas. Notes aux rédacteursEn janvier et février, Amnesty International s’est rendue sur plusieurs sites où ont eu lieu des frappes aériennes de l’OTAN, a examiné les dégâts et les restes de munitions, interrogé les victimes et d’autres témoins, et obtenu des copies des certificats de décès de ceux à qui cela a coûté la vie. Les porte-parole d’Amnesty International sont disponibles pour des interviews sur cette synthèse : • Donatella Rovera (anglais, français, espagnol, italien), conseillère principale sur la réaction aux crises, qui a dirigé l’enquête d’Amnesty International en Libye ; • Carsten Jurgensen (anglais et allemand), chercheur sur la Libye, depuis Berlin. Amnesty International peut, sur demande, fournir les images des sites des frappes aériennes qui figurent dans la synthèse. Contact : Pour plus d’informations, veuillez prendre contact avec le Service de presse d’Amnesty International, à Londres, au Royaume-Uni ; tél. : +44 (0) 20 7413 5566 ; courriel : [email protected] ; twitter : @amnestypress.