Haïti. L’abandon des poursuites contre Jean-Claude Duvalier est « une honte »

Les autorités judiciaires d’Haïti ont porté un nouveau coup aux victimes de Jean-Claude Duvalier, a déclaré Amnesty International mardi 31 janvier 2012, après que les poursuites pénales engagées à l’encontre de l’ancien « président à vie » pour de graves violations des droits humains ont été abandonnées. Un juge d’instruction de Port-au-Prince a annoncé lundi 30 janvier que Jean-Claude Duvalier (surnommé « Bébé Doc ») ne serait pas jugé pour des crimes contre l’humanité présumés – parmi lesquels des cas de torture, des disparitions et des exécutions extrajudiciaires – mais seulement pour des détournements de fonds publics commis lorsqu’il était au pouvoir, entre 1971 et 1986. Le texte de la décision du juge n’a pas été rendu public. Jean-Claude Duvalier fait l’objet d’une enquête en Haïti depuis qu’il est rentré de son exil en France en janvier 2011, après qu’un groupe de victimes a déposé des plaintes l’accusant de crimes contre l’humanité ainsi que de corruption et de vol. Les victimes peuvent faire appel de la décision du juge et Amnesty International a promis de continuer à les soutenir dans leur quête de justice. « La conclusion de la parodie d’enquête menée sur Jean-Claude Duvalier est une honte et ne fait que renforcer l’impunité en Haïti. Aucun effort sérieux n’a été fourni pour établir la vérité, malgré les multiples plaintes et les nombreux éléments relatifs aux crimes commis et aux victimes, a souligné Javier Zúñiga, conseiller spécial d’Amnesty International qui a enquêté sur les crimes de Jean-Claude Duvalier dans les années 1980. « Les rares victimes entendues ont été soumises à des manœuvres d’intimidation de la part des partisans de Jean-Claude Duvalier et de ses avocats. Il est évident que le juge d’instruction a laissé de côté des éléments inestimables et décidé de ne pas interroger toutes les victimes qui ont porté plainte. C’est une journée sombre pour Haïti et pour la justice. « Jean-Claude Duvalier a trouvé refuge en France pendant 25 ans jusqu’à ce qu’il retourne en Haïti, où les autorités ne l’ont pas amené à rendre des comptes pour les crimes de droit international perpétrés par ses subordonnés quand il était au pouvoir. » En janvier 2011, Amnesty International a présenté de nombreux documents faisant état des graves violations des droits humains commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier, mais le magistrat n’en a examiné aucun. Aux termes du droit international, la torture, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les arrestations arbitraires sont considérées comme des crimes contre l’humanité lorsqu’elles sont commises de manière systématique ou généralisée à l’encontre de la population civile. Aucun délai de prescription ne peut être appliqué aux crimes contre l’humanité et leurs auteurs présumés ne peuvent pas bénéficier de mesures de grâce, même lorsqu’il s’agit d’anciens chefs d’État. Amnesty International a fait part de sa préoccupation quant au manque de volonté du gouvernement actuel d’Haïti pour conduire Jean-Claude Duvalier devant la justice. « Les récentes déclarations publiques du président Martelly laissaient entendre que Jean-Claude Duvalier pourrait être gracié. Ceci peut s’apparenter à une pression et une ingérence inacceptables à l’encontre de l’enquête. Le fait d’inviter Jean-Claude Duvalier à participer à des cérémonies officielles montrait déjà clairement que le gouvernement voulait réhabiliter Duvalier au lieu de l’amener à rendre compte de ses actes, a ajouté Javier Zúñiga. « Haïti ne respecte pas ses obligations internationales d’enquêter sur toutes les allégations de crimes contre l’humanité et de traduire en justice les responsables présumés de ces actes. Les victimes attendent que justice leur soit rendue depuis plus de 25 ans, et la décision rendue ce jour constitue un revers majeur pour elles et tous les Haïtiens. Cependant, le combat n’est pas fini – nous continuerons de soutenir les victimes en appel et devant les instances internationales si nécessaire. »