Cambodge. Les femmes touchées de plein fouet par une vague d’expulsions forcées

Les femmes cambodgiennes sont de plus en plus en première ligne de la bataille contre une vague d’expulsions forcées dans leur pays, a souligné Amnesty International jeudi 24 novembre dans un nouveau rapport qui exhorte les autorités à mettre fin à cette pratique. Ce document, intitulé Eviction and resistance in Cambodia: Five women tell their stories, décrit en détails, par le biais de témoignages directs, les histoires de Hong, Mai, Sophal, Heap et Vanny, cinq femmes qui ont été confrontées ou continuent de résister à une expulsion forcée de leur domicile et de leur terrain. « Au Cambodge, les femmes sont en première ligne du combat contre les expulsions forcées. Beaucoup ont pris la tête de la lutte de leur communauté pour la justice, se mettant en danger pour défendre leur entourage, a indiqué Donna Guest, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. « Les autorités cambodgiennes doivent mettre un terme à la pratique des expulsions forcées, qui vont à l’encontre des traités internationaux relatifs aux droits humains et déchirent des familles. « Elles doivent veiller à ce que les personnes concernées soient véritablement consultées et que les habitants soient prévenus suffisamment à l’avance et indemnisés ou relogés dans des conditions convenables lorsqu’il n’y a pas d’autre solution que l’expulsion. Le gouvernement doit écouter les femmes qui tentent de protéger leur logement et leur famille. » Des dizaines de milliers de personnes ont été expulsées de force dans tout le Cambodge, tant dans les zones rurales qu’urbaines, et les populations autochtones sont chassées de leurs terres ancestrales ; c’est notamment le cas de Hong, qui raconte son histoire dans le rapport. Mai, 48 ans, une mère de famille vivant dans la province d’Otdar Mean Cheay (nord-ouest du Cambodge) était enceinte quand elle a vu, en 2009, son domicile détruit par le feu. « Ma maison, mes biens, mes habits, tout a brûlé. Il ne restait plus rien », a-t-elle déclaré. Sa maison et 118 autres de son village, Bos, ont été rasées au bulldozer et réduites en cendres par 150 policiers, militaires et autres personnes vraisemblablement employées par une société ayant obtenu une concession sur une vaste zone comprenant Bos pour une plantation de canne à sucre. En octobre 2009, Mai a été condamnée à huit mois de prison pour avoir enfreint des lois relatives à l’exploitation forestière après s’être rendue dans la capitale, Phnom Penh, pour se plaindre de l’expulsion auprès du Premier ministre. Elle a été libérée en juin 2010, mais seulement après avoir signé un document par lequel elle acceptait de renoncer aux droits sur son terrain. Aujourd’hui, elle dispose de peu de ressources pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses huit enfants. « Les femmes subissent non seulement un appauvrissement à la suite des expulsions forcées, mais également des menaces et des placements en détention lorsqu’elles tentent de résister, sans aucune protection de la loi », a noté Donna Guest. Aux abords du lac Boeung Kak, dans le centre de Phnom Penh, environ 20 000 personnes ont été expulsées de leur logement ou risquent de le perdre depuis qu’une société d’exploitation commerciale a obtenu un bail de 99 ans couvrant cette zone en 2007. Vanny, 31 ans, contribue à diriger la résistance des habitants aux expulsions du lac Boeung Kak. Le 11 août 2011, ceux-ci ont remporté une victoire partielle, le Premier ministre ayant ordonné qu’une partie du terrain soit cédée aux 800 familles restantes pour qu’elles logent sur place avec un titre de propriété. Vanny a déclaré : « Beaucoup de gens pensent que c’est le premier succès des manifestations populaires […]. C’est un formidable exemple pour les autres habitants dans tout le pays. » Cependant, elle ne se sent toujours pas en sécurité : « Quand je quitte ma maison, je ne sais pas si je peux m’attendre à rentrer chez moi ou non. » Vanny a de bonnes raisons d’être inquiète car elle fait aujourd’hui l’objet de poursuites pour diffamation engagées par la municipalité de Phnom Penh. De plus, huit autres habitations aux abords du lac Boeung Kak ont été démolies par des bulldozers le 16 septembre, si bien que des familles se sont retrouvées sans domicile. Le développement économique rapide sur un marché foncier privatisé depuis peu a entraîné une augmentation des expulsions forcées dans tout le Cambodge. « Des dizaines de milliers de personnes au Cambodge perdent illégalement leur logement à cause des exigences de grandes entreprises, a déploré Donna Guest. « Le gouvernement cambodgien ne doit pas sacrifier les droits humains au nom du développement économique. » Les expulsions forcées entraînent souvent une perte de biens et de ressources, l’éclatement de communautés et une détérioration du bien-être physique et mental de familles. L’accès à l’éducation et aux services de santé peut également en être perturbé. De nombreuses victimes d’expulsion forcée ne sont pas suffisamment indemnisées et sont réinstallées dans des zones isolées. Il arrive que des maris doivent passer de longues périodes loin de leur domicile à la recherche d’un emploi, laissant leur femme se débrouiller seule. « La perte du logement et de l’entourage est une expérience traumatisante pour quiconque, mais les femmes, en leur qualité de chargées de famille, portent un fardeau particulièrement lourd. Les expulsions forcées menacent également les progrès accomplis en matière de réduction de la pauvreté au Cambodge ces 20 dernières années », a ajouté Donna Guest. Complément d’information Amnesty International avait déjà dénoncé le manque de détermination systématique des autorités cambodgiennes à protéger la population des expulsions forcées dans un rapport publié en 2008. Les expulsions forcées violent le droit de toute personne à un logement convenable et sont interdites par les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Cambodge est partie.