Un an après la libération d’Iwao Hakamada, la situation des condamnés à mort au Japon a-t-elle vraiment changé ?

Il y a tout juste un an aujourd’hui, Iwao Hakamada, âgé de 79 ans, quittait le centre de détention de Tokyo, après qu’un tribunal de district japonais s’était prononcé en faveur de sa libération provisoire et d’un nouveau procès. Sans doute le détenu ayant passé le plus de temps dans le couloir de la mort au monde, Iwao Hakamada a vécu plus de la moitié de sa vie dans l’antichambre de la mort. Sa condamnation reposait sur des « aveux » qu’il avait faits après avoir été torturé à plusieurs reprises, ainsi que sur des preuves dont le tribunal a estimé qu’elles avaient pu être forgées de toutes pièces.

Bien que cette affaire fortement médiatisée ait ébranlé la confiance dans la justice et le système carcéral japonais, un an plus tard, la situation n’a pas beaucoup changé. La justice pénale japonaise présente toujours de nombreuses failles et les conditions de détention dans le couloir de la mort demeurent toujours aussi inhumaines.

Isolement cellulaire

Lorsque Iwao Hakamada est sorti de prison sous les projecteurs des médias le 27 mars 2014, celui qui est apparu devant les caméras n’était pas un homme heureux, mais un vieillard qui avançait voûté, le visage sans expression.

Après plus de quarante-cinq années passées en isolement dans une cellule de cinq mètres carrés, Iwao Hakamada souffrait de troubles mentaux à sa sortie de prison.

Hiroka Shoji, chercheuse d’Amnesty International sur l’Asie de l’Est

Ses propos demeurent peu cohérents et il se replie souvent sur lui-même. À d’autres moments, il s’emporte brusquement.

Les premiers signes de troubles cognitifs et comportementaux se sont manifestés en 1980, lorsque la Cour suprême a confirmé la condamnation d’Iwao Hakamada à la peine capitale. Son avocat a précisé qu’il était difficile de communiquer avec lui, ce qui rendait leurs rendez-vous inefficaces. Les conversations avec sa sœur, Hideko, et les lettres qu’il écrivait témoignaient également de troubles mentaux.

Au Japon, les condamnés à mort sont non seulement placés en isolement cellulaire mais aussi coupés du monde extérieur, ce qui signifie qu’ils n’ont que très peu de contacts avec leurs proches. Iwao Hakamada a vécu dans ces conditions extrêmes pendant des décennies.

Mépris de la santé mentale

Iwao Hakamada n’est pas le seul prisonnier à avoir été atteint de troubles mentaux pendant sa détention dans le couloir de la mort. Kenji Matsumoto, qui risque l’exécution depuis 1993, a lui aussi vu sa santé mentale se dégrader dans l’antichambre de la mort. Dans son cas, ces troubles se sont ajoutés à une déficience intellectuelle congénitale.

Comme Iwao Hakamada, Kenji Matsumoto a manifesté des signes de pensée irrationnelle à la suite de son incarcération. En 2008, un membre d’Amnesty International a indiqué avoir reçu un courrier de ce dernier, dans lequel il affirmait avoir reçu un prix, sous forme d’argent, de la part du Premier ministre japonais et du président des États-Unis – des évènements qui ne se sont jamais produits. En raison de sa déficience mentale, ses avocats ont déclaré que Kenji Matsumoto n’était pas en mesure de comprendre la procédure judiciaire le concernant, ni d’y participer ou de les aider à préparer les recours pour sa défense.

Le droit international et les normes internationales énoncent clairement que la peine capitale ne peut être appliquée à des personnes présentant une déficience intellectuelle ou un handicap mental. Malgré tout, le Japon ne dispose d'aucune véritable garantie pour empêcher cette situation.

Hiroka Shoji, chercheuse d’Amnesty International sur l’Asie de l’Est

De ce fait, des détenus comme Kenji Matsumoto, atteint de déficience intellectuelle préexistante, sont condamnés à mort. De plus, les conditions carcérales qui ont tant nui à la santé mentale d’Iwao Hakamada et de Kenji Matsumoto n’ont pas évolué.

Un virage nécessaire

Dans une déclaration publique prononcée à la suite de sa libération, Iwao Hakamada a indiqué : « Il est inacceptable qu’un État tue les siens. »

Son cas soulève d’importantes questions. Par exemple, peut-il être justifié d’enfermer une personne dans une cellule exiguë, seule, pendant des décennies ? Dans l’état actuel des choses, la justice pénale japonaise garantit-elle l’équité des procès et offre-t-elle des garanties suffisantes à l’encontre des « aveux » extorqués ? Si le risque d’exécuter un innocent est toujours présent, ces garanties pourront-elles un jour être suffisantes ? L’expérience tirée de la situation dans la grande majorité des pays du monde révèle que la réponse est non.

Au cours de l’année qui s’est écoulée, l’état d’Iwao Hakamada a montré des signes d’amélioration. Vivant aujourd’hui à Shizuoka, au Japon, avec sa sœur Hideko, il parvient plus volontiers à parler avec celle-ci. De temps à autre, il esquisse même un sourire.

Le dossier d’Iwao Hakamada se trouve toujours entre les mains de la Haute cour qui doit statuer sur la tenue d’un nouveau procès mais, pour l’instant, Iwao Hakamada a pu rentrer chez lui. Des réformes judiciaires et l’amélioration des conditions de détention dans le couloir de la mort sont indispensables. Toutefois, le virage ultime doit être l’abolition de la peine de mort. Nous espérons que la réforme du système judiciaire japonais n’interviendra pas trop tard pour Kenji Matsumoto et tous ceux qui, comme lui, se trouvent toujours dans le couloir de la mort.

Le 1er avril, consultez les chiffres 2014 d’Amnesty International sur la peine de mort. Pour en savoir plus sur le travail d’Amnesty International contre la peine de mort.